Je ne peins pas depuis très longtemps et je dois faire un portrait sur toile de lin. J’ai acheté de la colle de peau de lapin car on m’a dit que cela préparait bien la toile afin qu’elle soit « lisse » pour effectuer les détails du portrait. Voulez vous me dire s’il vous plait comment je dois procéder ?
Réponse :
La toile de lin sur châssis, non apprêtée, est un support peu approprié à la charge de la peinture à l’huile. Notamment le risque d’absorption, par les fibres, de l’huile liant les pigments, peut causer à terme la désagrégation de la couche picturale…
Encoller une toile c’est la protéger, en l’isolant de la couche picturale, tout en offrant à cette dernière une excellente surface à peindre.
Propriétés de l’encollage d’une toile de lin sur châssis
Principe de l’encollage
On applique, à la surface de la toile nue, une ou plusieurs couches de colle naturelle ou synthétique.
L’encollage une fois effectué, on recouvre la surface d’un enduit ou Gesso, (de l’italien « gypse » = craie) préparation semi-fluide, de couleur blanche, composée de colle et de craie broyée.
Pour simplifier le procédé, on peut choisir un encollage intégral au Gesso.
Il est loisible à l’artiste de teinter l’enduit en fonction de son inspiration. Les dessous d’une peinture sont fondamentaux. La couleur du fond, de même que le « jus », sous-couche transparente servant parfois de base à la composition d’un tableau, induisent la tonalité et le caractère de l’œuvre finale.
Par exemple, un enduit gris bleuté favorisera l’apparition d’ombres subtiles dans la peinture tout en réclamant un travail sur les hautes lumières ; un enduit sanguine réchauffera la peinture d’inflexions cuivrées etc.
En revanche, le fond blanc est rarement employé car la luminosité du blanc fait paraître toute couleur plus foncée, favorise les contrastes aux dépens des demi-teintes, et donc limite le champ d’action de l’artiste !
Avantages de l’encollage au niveau du support et de la couche picturale
La toile de lin a une texture légère, molle, à trame irrégulière. L’encollage va égaliser la surface de la toile, la rigidifier, la lisser, et ce faisant interposer une séparation étanche, entre toile et couche picturale.
Support de toile
La toile, isolée par l’encollage, est ainsi protégée d’éventuelles dégradations dont celles occasionnées par les réactions chimiques des pigments.
L’encollage, appliqué de préférence au recto et au verso de la toile, la protège également des agressions environnementales : pollution, dilatation et rétraction dues aux variations hygrométriques et facteurs de craquelures, dégénérescence de la fibre de lin, attaque de moisissures, bactéries etc.
Couche picturale
L’encollage offre à la couche picturale des conditions optimales d’accueil pour le traitement de la peinture ainsi que sa conservation :
Opportunité d’une assise stable, prévention de toute éventualité de dispersion, déperdition ou formation d’amas via les interstices du textile, garantie d’une bonne accroche de la couleur sur l’enduit, aplani et gorgé de colle.
Plaisir de peindre sur une surface lisse. Dans le cas inverse, pour obtenir des effets de matière on peut intégrer au Gesso tout matériau stable comme par exemple poudre de marbre ou sable.
Préparation de la colle de peau de lapin
Dissolution
La colle de peau de lapin est commercialisée sous forme de granules ou de plaque, déshydratés.
Dans un récipient de verre, faire tremper le poids de colle sèche souhaitée dans de l’eau distillée froide ; environ 8 cuillères à soupe de poudre de peau de lapin pour 1 litre d’eau. Doubler la proportion de poudre pour une colle épaisse. Fermer hermétiquement le récipient pour prévenir toute moisissure. Laisser agir une nuit. La colle doit avoir absorbé toute l’eau ; elle a gonflé et a la consistance de la gélatine.
Faire fondre la colle détrempée dans un récipient de verre, au bain-marie, en remuant doucement avec un manche en bois. Chasser les bulles d’air. Veiller à ne pas faire bouillir. La température ne doit pas être trop élevée. Le seuil de liquéfaction de la colle de peau se réalise autour de 37°C. La température élevée altère le pouvoir adhérent de la colle. Dès que la colle a une consistance liquide, la retirer du feu.
L’odeur dégagée est très forte et pourrait incommoder.
La fluidité de la colle varie en fonction de l’usage qu’on veut en faire. Par exemple, en tant que liant pour confectionner une couleur, la colle doit être faible. Attention, une colle ayant trop de tirant (trop épaisse) ne convient pas pour l’encollage d’un support souple comme la toile.
Préparation d’un Gesso à base de colle de peau de lapin
Pour obtenir l’enduit blanc ou Gesso, ajouter de l’eau tiède à la colle fluidifiée encore chaude et y verser en pluie la poudre de craie : blanc d’Espagne ou blanc de Meudon. Arrêter l’opération quand la poudre n’est plus absorbée.
Mélanger les deux matériaux au bain-marie avec précaution.
Enduction de la toile de lin sur châssis
L’application de l’enduit se fait à la brosse, au couteau à palette, au rouleau, en croisant les passages de l’outil choisi.
Enduction d’un Gesso à la colle de peau de lapin
L’enduit à la colle de peau de lapin s’applique à chaud sur le support.
La tradition préconise un passage de plusieurs couches de Gesso, jusqu’à 8 et bien au-delà ; la couche sèche en 2 heures environ. Il est recommandé de poncer chaque couche une fois séchée afin d’obtenir un support bien lisse ! Ponçage au papier verre extra fin.
Une autre méthode consiste à ne pas attendre le séchage complet d’une couche avant d’appliquer la couche suivante qui bénéficiera de la sorte d’une meilleure adhérence à la sous-couche. Dans ce cas il ne sera pas possible de poncer ; le ponçage se pratiquera sur la dernière couche, après séchage à cœur d’au moins 48 heures.
Prévoir éventuellement de faire plusieurs cuissons ; la colle, étant d’origine organique, ne se conserve pas bien une fois préparée, seulement quelques jours au réfrigérateur, et risque de devenir cassante. La colle refroidie se réchauffe au bain-marie.
Cette méthode d’encollage est fastidieuse mais a fait ses preuves depuis le Moyen Age ! Des panneaux de bois marouflés (encollés) de toile pour la peinture a Tempera, (à l’œuf) ou à l’huile, jusqu’aux toiles sur châssis.
La tradition se perpétue de nos jours, auprès d’artistes contemporains, d’hagiographes ou « écrivains » d’icônes respectant la tradition byzantine. La planche de l’icône, marouflée d’une fine toile, est enduite du « Levka », et poncée jusqu’à devenir lisse comme du marbre poli.
Tradition perpétrée en artisanat d’art délicat sur des supports résistants : collage de la feuille d’or, travaux en ébénisterie ou marqueterie.
C’est pourquoi une toile de lin marouflée sur un panneau de bois serait plus en accord avec un encollage aux normes traditionnelles qu’une toile sur châssis. La toile, imprégnée de l’enduit fait alors corps avec les fibres du bois dont elle restreint, par ailleurs, les effets de dilatation-rétractation ; de plus elle se solidifie comme du minéral, tout en conservant en surface un aspect soyeux.
De nos jours, il existe un grand choix de liants naturels et synthétiques, fiables et plus pratiques d’emploi que l’enduit à la colle de peau de lapin.
Ainsi, la technique de l’encollage s’est-elle allégée.
En définitive, deux couches de Gesso, tout liant confondu, peuvent suffire à un encollage correct de la toile ; la première, fluide, pénètre les fibres du textile, la seconde, plus « tirante », solidifie l’enduit.
D’autant que le Gesso qui se minéralise sur le support en séchant, ne doit pas être trop rigide dans le cas où l’on souhaiterait laisser un peu de jeu à la toile de lin, tendue comme une voile au vent, pour s’y adapter de par sa souplesse naturelle.
Liants adaptés à l’encollage de la toile de lin sur châssis
Liants naturels
La colle de peau de lapin (ou colle « Totin » nom d’une ancienne marque) et la colle de peau de poisson (onéreuse et encore plus difficile d’emploi), restent d’insurpassables gélatines pour une parfaite tension, souplesse et retenue à la fois, de la toile. Mais les gélatines, sensibles à l’humidité, risquent parfois de distendre la toile en la creusant irréversiblement.
Le Casé-arti, est un liant naturel de chez Lefranc & Bourgeois, à base de caséine. Il se présente sous forme de poudre sèche blanche et se prépare à l’eau. C’est un enduit blanc mat, résistant et souple qui adhère à toute surface. Les toiles enduites de 2 couches de cette préparation conservent assez de souplesse pour résister sans cassure à une pression. Elles peuvent être roulées.
Le liant « Caparol » est un enduit à base de vinyle, à diluer dans l’eau. Excellent isolant. Son élasticité s’adapte bien à la surface souple et ondoyante de la toile.
Le liant acrylique « Enduit universel blanc » de Lefranc & Bourgeois est prêt à l’emploi. Il est conseillé pour éviter que des coulures n’infiltrent la toile, de passer au préalable une première couche de l’encollage universel incolore.
Que le liant soit d’origine naturelle ou synthétique, il est indiqué de poncer les couches d’enduit, au moins la couche finale, si l’on désire obtenir une surface nivelée et douce.
Les toiles du commerce, prêtes à l’emploi, sont en principe tendues sur le châssis de façon équilibrée, afin de prévenir tout tiraillement, néfaste à la bonne conservation de la peinture. Ces toiles sont au préalable convenablement encollées d’un Gesso, a priori synthétique. Mais rien n’empêche d’effectuer un encollage supplémentaire à l’aide d’un liant de même source, de le teinter à son imagination et d’effectuer un ponçage « maison », pour un apprêt haute finition et personnalisé !
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