Peinture de Nicolas de Staël, la Lune

la Lune, Peinture de Nicolas de Staël, 1953.
Huile sur toile 97 x 162 cm, collection particulière.
Visible à la Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse

« L’instinct est de perfection inconsciente et mes tableaux vivent d’imperfection consciente » Nicolas de Staël

“Toujours, il y a toujours un sujet, toujours”. Nicolas de Staël

 

Un gros point sur un i

Sur une toile verticale de grand format, divisée en deux parties, carré haut, ridé de peinture craquelée, carré bas, lourd de peinture stratifiée, la solitude cosmique d’un paysage de Nicolas de Staël s’exacerbe. Dans le ciel bleuâtre, apparaît une pleine lune énorme, déliquescente, éclairée du dedans. Tristounette lune jaune paille, cernée au front et à la mâchoire d’une pilosité noir de fusain, minuscules scories s’évaporant en une pluie de suie à la surface du ciel, et en dépôt sur l’horizon, poussière tombée du menton… !

Une lune même pas ronde, plutôt d’aspect carré, forme fondamentale dont Nicolas de Staël bâtit ses œuvres, agrégat de tesselles de peinture qu’il se plaît à architecturer et lisser au couteau. Le visage plâtré de touches pansement, la lune semble méditer, nous regarder d’un air dubitatif. Elle penche un peu la tête du côté opposé à la chute de l’horizon, comme si elle avait le vertige.

Tout prêt de l’eau ou de l’au-delà, la lune ne s’y mire pas malgré le lustre luminescent. Peut-être un reflet fantôme grelotte-il dans quelque tesselle de valeur mauve ? Bétonnée, aplanie, glacée de glacis, sur cette eau figée de patinoire, la lune va-t-elle y glisser ? Solitaire, au coeur de l’eau, s’exclame un filet vertical rectiligne, égratigné au scalpel, ponctuation prémonitoire de la fin de vie tragique du peintre ?

Ni ombre, ni lumière, ni vent, ni mouvement ; lune arrêtée à hauteur de son dénuement

Et si la toile se jetait dans le vide, à planer dans tous les sens des verticales et horizontales ? Lune point final ? Moins zéro, lune annulée du cosmos ? Lune noyée dans la vase du ciel, sous l’épée de Damoclès ? Le zéro et l’infini… ?

Marie-Lydie Joffre

 

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Peinture posée au couteau = sorte de petite truelle souple qui offre la possibilité d’appliquer et d’écraser les couches de peinture et aussi de les lisser

une tesselle = du latin tessella (carreau). Fragment de terre cuite, pierre, marbre, pâte de verre…employé dans les mosaïques

 

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