Interaction du fond et du sujet en peinture

Question d’un internaute :

 Lors de l’exécution d’un pastel faut-il : commencer par le fond (par exemple une montagne) puis passer par-dessus pour peindre (par exemple une biche) et doit-on “fixer ” le fond auparavant ou bien faire le premier plan et “mettre autour le fond”?

Réponse :

La tradition dans la plupart des techniques de peinture, dont le pastel, recommande de commencer l’œuvre par l’arrière-plan, c’est à dire le fond. C’est comme dans la vie, ce qui existe en premier induit et renforce ce qui vient par la suite ; les fondations soutiennent la maison !

Traiter d’abord le fond – ne pas fixer- chemin faisant apportera de la matière dont va bénéficier la définition du sujet ou premier plan. Cette pratique est une mise en oeuvre réfléchie pour faire surgir le sujet de façon accompagnée comme une naissance. C’est une exploration dans le miroir réfléchissant des pigments de pastel.

Si on commence à peindre « le premier plan » (ou le sujet) puis à traiter « autour le fond », on réalise plus un acte de juxtaposition et coloriage que d’immersion picturale. Mais pourquoi cette expression spontanée serait-elle à exclure ? Les peintures des enfants ne sont-elles pas les oeuvres les plus sensibles ? On peut également ne s’intéresser qu’au sujet ou inversement qu’au fond ; on peut évidemment envisager tout ce que l’on veut !

Tout est faisable en peinture, et il y a autant de façons de s’exprimer que d’artistes. L’art c’est la vie de l’imaginaire donc de toutes les libertés.  Il n’y a pas de règles d’architecture pour un château dans les nuages. G.K. Chesterton

Ci-dessous, quelques exemples de réalisations au pastel :

. Degas fixait des couches successives de pastel entre elles, parfois en grand nombre ! Le pastel une fois fixé chute de tonalité, peut prendre un aspect translucide de parchemin, et sa surface devenir légèrement rugueuse. Ainsi traitées, les superpositions entrent en résonance avec les ressources accumulées depuis la première couche et procurent chatoiement et profondeur à l’œuvre. La dernière couche de pastel n’étant pas fixée pour la conservation de sa « fleur ».

. Estomper légèrement, d’un doigt aérien, du pastel essaimé sur un support papier non travaillé, en couche fine, de façon que le pastel qui sera déposé par dessus puisse accrocher sans déraper ! La fugace luminosité ainsi obtenue diffusera sur le sujet. Par exemple une montagne dessinée sur un ciel éthéré semblera flotter à l’horizon.

. Réserver des pans du support papier coloré ou blanc, non pastellés. En fin de travail si ces trouées à l’état brut sont couvertes de pastel elles apparaîtront sous forme de lumière pure et s’imposeront tout naturellement au premier plan.

. Toute œuvre sur papier dont on est insatisfait, dessin, pastel, peinture à l’eau… est un fond incitatif à la création d’une œuvre nouvelle. Ces plages stimulent d’autant l’imagination que l’on ne craint pas de les violenter, ce qui libère le geste. Degas a exécuté des pastels aux couleurs ruisselantes de lumière à partir de ses monotypes en noir et blanc.

Dès que l’on commence à peindre, c’est souvent l’instant de grâce où, chargé de l’immanence de quelque chose de fort à délivrer, on est sous domination de l’intuition, et on oublie tout savoir ; il est alors moins question de composition de l’œuvre que d’orchestration d’un dépassement de soi !

Quelques soient ses moyens de construction, l’oeuvre est avant tout une interrogation de « fond » … de l’être !

 

A suivre :
– Observation d’après deux reproductions de pastels d’Odilon Redon
– Observation d’après les reproductions d’une aquarelle de Delacroix et d’une huile de Miró

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