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Couverture de l’album ENTRE

 

Préface

On entre dans un texte de Valéry Meynadier comme on entre dans la mer. Au début avec prudence, émoi, étonnement. Puis on se laisse saisir, on trouve son souffle, on prend plaisir, une fluidité commence à nous enrober. Un peu plus tard on se surprend à se laisser flotter dans les bras d’une houle vigoureuse et voluptueuse à la fois. Enfin on fait corps, on est la masse de la vague, liquéfiée tout autant qu’aérienne en ce lieu où la mer et le ciel ne font plus qu’un : on entre alors dans le mystère de l’épaisseur des êtres, corps et âmes confondus.

Il fallait à côté d’un tel texte un élan poétique à hauteur de l’engagement suscité. Il fallait qu’on puisse chercher, haleter, se perdre, puis enfin être pris et succomber dans une aire d’accueil, de quête, et d’ouverture. Les encres de Marie-Lydie Joffre nous amènent encore plus loin. Chaque esquisse nous attire vers un arrière-plan intimiste qui pousse notre subjectivité à se saisir de l’histoire, qui devient notre histoire. N’avons-nous pas chacun un drame, une énigme, où nous avons sombré un jour, et qui a structuré pour longtemps les abîmes de notre mémoire ? Ces lignes et ces formes graciles, mouvantes, vivantes, plongent dans l’antre de la chair et nous convoquent vers des sombres profondeurs d’où on espère la lumière. Et celle-ci ne cesse de sourdre des 4 coins de l’horizon, elle nous entoure, elle n’a jamais cessé d’être là, même au plus noir de nos épreuves. A leur manière Valéry et Marie-Lydie tissent ensemble un conte de la Rédemption.

Pascale Amara, Sept 2011, place Denfert-Rochereau, Paris

 

Couverture de l’album ENTRE : Encre de Marie-Lydie Joffre.

Liquidambar, arbre croqué sur le vif  au Jardin des Plantes de Montpellier

 

 

 

Publications dans la revue étoiles d’encre 69-70 (Editions chèvre-feuille étoilée)

Thème de la publication : Penser la vie

Poèmes de Huguette Bertrand et de Annie Devergnas

en résonance avec les encres  de Marie-Lydie Joffre

 

 

 

 

 

L’Ame et les Masques

LES PASTELS DE MARIE-LYDIE

MARIE-LYDIE cède à la tentation, cette tentation qui fait que l’artiste, face à la réalité, ne la voit pas, mais joue avec elle et en tire des arpèges de symboles. Elle cligne les paupières et, à travers le flou qui en résulte, filtre les formes, épure les lignes, irise les couleurs jusqu’à ne garder du monde que le prétexte de sa peinture.

Et naissent de ce jeu des sens et de l’esprit des visages, certes, avec bouche et regard, nez et oreilles, mais de nul être incarné, tant leur beauté formelle et quasi mystique les éloigne infiniment de tout « modèle » humain. Apparaissent aussi des mains, êtres à part entière, des mains qui flottent comme algues au gré de leur rêve, des mains qui mentent ostensiblement leur réalité de mains ; Et puis surnagent encore de cette quête des papillons-obsessions, immenses palettes à l’échelle des visages, incrustés parfois dans la chair même des personnages, ou ne s’en détachant qu’à grand peine. Pour le reste, ne cherchez pas : vous ne trouverez guère autre chose qu’un flou idéal, une nuit lumineuse où tout est possible mais en silence.

Ainsi s’élabore sous nos yeux, un nouvel univers qui ne trouve sa plénitude que dans l’extrême dépouillement des éléments qui le composent. Car ce que l’oeil de l’artiste a jalousement élu, est appelé à palpiter sa vie seconde sur de frêles supports de papier, et MARIE-LYDIE n’interpose entre ce support et le geste qui donne vie que le seul film du pigment coloré.

La poussière du pastel est répandue, effleurée, pressée, persuadée, jusqu’à se muer en un modèle parfait et parfaitement contrôlé, au point que les lignes elles-mêmes semblent naître des volumes.

Et puis la tentation trouve sa justification : l’être impossible aux yeux immenses ouverts sur l’espace a pris vie, et sans doute sa vie est-elle plus réelle cent fois que tous les visages fermés du quotidien que voient nos yeux profanes. Et toutes ces vies ensemble, étrange galerie de portraits qui ne portraiturent personne, recréent un univers où le temps n’existe pas , qui trouve en lui-même sa raison d’être.

Le papillon-femme y plane dans une apesanteur blonde, les paraphes de ses ailes sont une boucle qui recommence là où l’on croit qu’elle finit, et son envol reste indéfiniment retardé, puisque le délice naît de l’intention,

tout comme cette femme à la douceur persuasive qui apprivoise le papillon encore fermé, et retarde la victoire pour goûter la résistance qui  cède. Telle cette autre dont la main frémit à la lisière du voile et ne veut ni le refermer ni l’écarter, tandis que le regard demeure imprégné de toutes les mélancolies passées et à venir, tout présent aboli au bord du geste fatal.

Jeu entre le geste et le rêve encore, celui de la liseuse aux lourdes paupières : sa bouche se gonfle sur l’ivresse que dément le froid contact des mains et du livre, mais ce contact même est prétexte à toutes les perversités. . .

Semblable est la griserie des petites filles dont la lèvre avance en un dédain qui cache le baiser : devant elles le papillon, de ses pattes transparentes, esquisse le recul et ne l’achève pas, pris entre la fuite et la fascination , à moins que le papillon-lune n’ait déjà pris possession de la femme enfant et se soit substitué à son oreille, et la froide jouissance de leurs noces immobiles gonfle le buste et donne au regard son éclat lunaire.

Voici la femme de face : le papillon se tourne à son tour pour servir de noeud à son cou : la bouche sourit intérieurement de la plaisanterie, mais vous ne rencontrerez jamais le regard ; car somptueusement poché, il se perd dans une nuit de conjectures et l’on ne sait s’il voudra rire ou songer, mais c’est sans doute le songe qui l’emporte.

Il faudrait interroger encore le pierrot lunaire dont le visage semble la quatrième aile du papillon qu’il baise, les yeux fermés sur le bonheur de leur parfaite ressemblance, l’un et l’autre s’aspirant en une étreinte nacrée sur fond de nuit.

Parfois le visage se double lui-même, contemple ou fuit son écho visuel, double réalité ou double rêve ? Il est de ces visages doubles qui s’accordent paisiblement de leur dispersion dans l’espace, mais d’autres qui émergent du brouillard d’opaline bleue qui les imbibe encore, avec l’air sinistre d’assassins méditatifs.

C’est quelque chose d’imperceptible dans l’expression qui transforme ces êtres en femmes plutôt qu’en hommes (Sexualité toute relative d’ailleurs puisqu’elle est dépouillée d’anecdote) la chevelure même étant anecdote.

Voici un Ironique au visage de cire, qui a choisi pour ressemblance une pomme de pourpre noire et qui, prêt à prendre sa tête entre ses mains, semble tourner le monde en comptine désabusée.

Il est frère de cet autre à l’allure d’un grand champignon sulfureux, casqué d’un papillon retourné en guise de chapeau, très sérieusement comique avec son teint de volcan ! C’est un habitant de la nuit, et il n’est pas le seul.

Elle émane de la nuit aussi la femme en albâtre rosé dont les mains volent autour d’un papillon couleur de terre de tombe.

Et cette autre ressuscitée, trahie par son collier de perles d’un autre âge , qui sourit aux mondes interdits.

Ou cette femme au regard têtu sous un front têtu qui maîtrise, pressé contre elle, un terrible papillon de braise ardente ; dominant la volupté de la brûlure, elle joue sur le corps-guitare de sa proie, orgueilleusement absente.

Arrêtons-nous enfin devant la prêtresse de cet univers où les passions sont des élans retenus, où la jouissance est promesse plus que consommation. A force de réduire la pulpe des choses à leur contour très pur, à force d’immobiliser le désir dans un instant d’éternité, voici la femme devenue Nonne. Elle n’a plus besoin de toucher les  papillons symboliques, l’extase naît du seul regard d’amour qu’elle porte sur leur nuit reconnue. Car les voilà dépouillés de leur éclat trompeur, feuilles fanées déjà proches de la terre, et en cela même devenus enfin frères, dans une réconciliation née de tous les affrontements surmontés. Le fond rouge de mars et la robe de bure ont la douleur poignante des choses sans fard, illuminées de la beauté intérieure du visage : car il est l’envers du masque, la mort du mensonge, l’âme à vif dans la transparence absolue du regard.

A travers toutes ces femmes rêvées et leurs complices, mains, papillons, brumes, frères masculins parfois, c’est d’un domaine lointain qu’il est question, d’une conscience qui n’est pas que l’inconscient exprimé par l’artiste, mais aussi une part de notre inconscient à tous. C’est un monde où la communication se passe de signes, car elle se perçoit instantanément  dans le silence échangé, où l’essentiel est regard et langage sans parole.

Ce sont des modulations, répétées chaque fois sur une gamme un peu différente, d’un long rêve intérieur, qui a choisi les images colorées plutôt que les mots ou les notes pour se dire. C’est un secret qui répugne à se répandre, qu’il faut approcher sans tumulte intérieur ni extérieur, pour le partager à demi.

Au-delà de la solitude qui semble imprégner ces Pastels de prime abord, le spectateur attentif saisira l’occasion de jouer à son tour avec les apparences et de retrouver un mode privilégié de compréhension des êtres, celui qui passe intuitivement à travers le frémissement des mains, à travers le langage éloquent des demi-teintes et des éclatements sourds.

Après une plongée dans cet univers tout éclairé de l’intérieur, prêt à dire et à faire mais se retenant pour garder à la parole et au geste toute leur merveilleuse densité première, nous prolongerons peut-être en nous-mêmes la complicité nouvelle apprise et cèderons à notre tour à la tentation : jouer à dévoiler la vérité des êtres.

Annie Devergnas

Rabat, décembre 1980

 

 

Quand le pastel flirte avec la pierre

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Pendant longtemps, Marie-Lydie a caressé le papier de sa poudre de pastel, modulant les formes des visages, des corps, jouant de la lumière et de la pénombre jusqu’à ce que les reliefs s’imposent, que saillent les bras, les joues, les thorax en un trompeur effet de ronde-bosse, dans la lignée des peintres classiques pour qui la peinture se doit de déjouer son plat support.

Mais le pastelliste, parmi les illusionnistes de la surface plane, n’est-il pas celui qui refuse tout intermédiaire entre la lumière et lui, celui qui palpe et écrase, les doigts tout imprégnés de couleurs, à même le papier ? Et n’a-t-il pas déjà quelque chose du modeleur, sans oser pourtant affronter la matière rude qu’il faut entamer ?

 

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Or voici que Marie-Lydie a rêvé devant cette matière rude : la pierre blessée, celle qu’elle rencontre au hasard d’une promenade, ou que lui offrent ses amis tailleurs dans les carrières de marbre ou de grès. Et peu à peu la pastelliste a apprivoisé ce nouveau support, l’utilisant d’abord en lieu et place du papier ; mais bientôt la Matière s’est imposée, non plus en tant que surface, mais avec ses aspérités, ses cicatrices, obligeant l’artiste attentive à découvrir dans le relief même la réponse à ce tête-à-tête. Car devant chaque nouvelle pierre Marie-Lydie éprouve une émotion nouvelle, ce minéral unique lui parle, appelle un geste non plus superficiel, mais un véritable mariage avec le relief : une forme se dégage du matériau brut, que Marie-Lydie trace, laisse voir, appelle à la vie. Avec ses poussières de pigments qui se mêlent au minéral, dessine-t-elle une sculpture, ou sculpte-t-elle la vivante surface, révélant l’âme qui s’y cachait ?

Annie Devergnas

Légendes des visuels :

1 Noeud-papillon. Pastel sur papier 50x65cm. 1983.

2 Les Ménines. Pastel sur papier 50x65cm. 2007.

3 Nu rose et noir. PastelLithe en Marbre de Caunes-Minervois. H20xL21xP7cm, 3kg, 1997.

4 Nu au soleil. PastelLithe en Pierre de Claret. Hérault. 2002. H23xL12xP9cm, 13kg, 1998.

5 Contre-plongée. PastelLithe en Pierre de Claret. Hérault. 2002. H21xL33xl10cm, 18kg. 1999.

 

English version : http://www.marielydiejoffre.com/blog/en/2017/01/when-pastel-flirts-with-stone/

Reliures

Sélection de 3 encres de Marie-Lydie Joffre extraites de la série ‘Reliures’. Format 16x27cm. Encre de Chine et pigments sur papier Sennelier ‘Mémoire du pastel’.

 

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Je découvre les reliures. J’imagine les mots venant s’y nicher, j’aurais aimé les parcourir, quels mots avec quelles couleurs… Où vont-ils s’ancrer ?

Et les encres à suivre.

Rien du noir, à en conjurer l’absence/la négation de couleur qu’est ce noir implacable, au premier abord…

Et puis cette recherche tout autour de lui, en profondeur, en légèreté, en courbes et en angles droits.

Ou alors l’amalgame final de ces ‘bassins de couleurs’. Les élans, les doutes, la recherche du point de fuite et puis… une implosion sacrée, presque muette et figée, mais qui se révolte… Un peu de jaune et de couleurs chaudes qui s’offrent parfois, en brouillard, en plumes transies, en envolées aussi, en liquides à-plat et en feux arides, et ce trait rouge qui vient tout régenter ou qui ne fait que prétendre ‘accompagner ce mouvement’… Ce rouge tissé d’attention, retenu, sage, trait de l’écolière qui veut appendre, et puis se dilue et s’en va être, ailleurs, on ne sait où, insaisissable, sans trame finale, finalement ! Une fièvre d’adolescente et pourtant le récit d’un long parcours intérieur… Trop de sens multiples pour Dire, les traits ont tout ‘relié’, ontologiquement, et finalement, que peut-on dire du noir si ce ne sont que ces couleurs erratiques (?) qui l’accompagnent, sans faire sens ni forme définie, en Etantes, simplement…

E. Damnon

 

 

Platane

 

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Le platane, me subjugue, il me perd. J’y vois tellement de choses. C’est un voyage extraordinaire… « Par la Déesse, on m’a menti, ceci est loin d’être un platane..! »

Et je souris… Ces lignes si sombres qui occupaient tant d’espace auparavant, implacables et se débattant, sont si pleines de souffle aujourd’hui…

Il y aurait tant à dire sur ce ‘platane’…

De tout ce mouvement, en un tel graphisme que l’on voudrait mettre son doigt à l’intérieur pour parcourir à nouveau le trait du pinceau et suivre le fil de l’eau, on pourrait presque le sentir et pourtant, sa beauté est ; entre sang, encre, liquide qui éclabousse si libre et si parfait dans sa course en même temps. Il y a là un être libre qui bondit en avant, à en perdre la tête, le coeur grand ouvert devant. Il y en a un qui se tient droit en terre, enraciné en arbre, et en croissant d’une lune qui ne se dit qu’à moitié, et tend ses bras vers quelque chose qui n’a pas de nom mais touche à l’Absolu, et le fait Arbre…
Ces deux êtres n’en faisant qu’un dans sa/leur dualité.
Le tout n’est peut-être qu’un animal sauvage qui court en souriant à la vie, où alors simplement un être fait de tout cela/ceux-là, en ailes et en souffle aussi, en lumière à naître, et de celle que l’on reçoit. De ces ailes que l’on pourrait prendre pour des anges mais savent se dire en soleil terrestre aussi.

Cette petite chose qui se -cache-là- et qui se dessine en traits rationnels, en ailes à naître en dessin… Derrière ce tronc d’Arbre… Peut-être est-elle celle qui tient cette lune de femme ailée au ventre au coeur en vent… Que tient-elle dans ses pattes de petit oiseau droit dressé qui dessine ses ailes ? Un morceau de lune renversé peut-être, comme les montants que l’on met au dessus du lit des enfants pour leur tenir compagnie la nuit…?

Un Arbre en triangle, un grand A. On a envie de souffler délicatement dessus, ou alors d’aplanir les traits obliques et réguliers des ombres, de lisser ces ailes.  Et puis non finalement, il faut les laisser parler d’elles-mêmes et dire de quels traits elles sont faites…

Le platane, que je vois être le numéro 3 soudainement, me fait m’interroger : où est le premier ?

Ces deux derniers me déroutent. J’aurai besoin de plus de temps pour les dire…
Un instinct qui me soufflerait de poser mes mains pour ‘apaiser et réunir’, entre le ciel et la terre…
Il me font revenir au magnolia et le relire encore d’une autre façon…
Ils sont tous une même et seule histoire en vérité…

E. Damnon

 

Ci-joints, 3 croquis extraits d’une série d’encres de Marie-Lydie Joffre sur le motif au Jardin des Plantes de Paris (4-10-2010)

Magnolia

 

 

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Jeune Magnolia grandiflora. Jardin des plantes de Paris. 4 oct 2010. Encre de Chine et calame sur papier calligraphie Clairefontaine, 24X30 cm. Croquis de Marie-Lydie Joffre

Quand j’ai vu ‘Magnolia’. J’ai été un peu en colère contre vous, pour m’avoir dérobé l’image de « mon Magnolia à moi ». Je le chéris si grand en fleurs, que je vous en ai voulu de ces branches et de ce foisonnement direct et appuyé si fort, planté en largeur massive, poussant si vite et si droit… Et puis il y a eu la rencontre avec d’autres traits. Tout d’abord une branche qui vous surprend puisque l’on semble avoir voulu la rajouter là. Que veut-elle dire ? Est-elle accompagnée d’autres de ses semblables ? Et que veulent-elles dire… Celle-ci qui pousse là, au milieu et à l’opposé en même temps, en sens inverse, en dépit de toute logique, elle qui s’installe là si impatiemment, d’un ton si péremptoire, vindicatif, en force ou en douleur, de femme…? Respire-t-elle… ? On dirait qu’elle abrite un être fatigué, ou alors en méditation, un être ou une spiritualité, une philosophie, quelque chose à dire sur les arbres et la façon dont ils poussent, ce qu’il leur faut pour vivre et aimer la vie, pousser des fleurs sur leur poitrine lorsqu’ils ont le dos… avec une racine -ou- enraciné ? Est-ce un enfant sur ses genoux, ou le fruit de mon imagination, de la sienne…
Et cette autre qui est à naître de quelque chose qui se veut branche, feuille, oiseau, horizon et vent à la fois…
Et puis une autre, qui grandit en deux rondeurs, deux traits parallèles que je reconnais, enfin, que je devine tout en le reconnaissant. Il raconte l’histoire d’autres de vos peintures, une autre idée de la beauté, qui va toujours avec mon sourire…
Et ces feuilles derrière, semblant vouloir dire, ‘je suis un arbre’, mais celles-ci me semblent naître de quelque chose de bien plus insaisissable, le vent peut-être qui emporte d’autres branches avec lui, ou peut-être une cape, des cheveux-branches de femme y flottant.

On comprend mieux alors pourquoi les premières branches se dressent ainsi avec de force, c’est leur souffle, à l’intérieur, qui a tant à dire.

Je croyais les magnolias bien plus tranquilles que cela ! ;-))
En tout cas, je ne les regarderai plus de la même façon…

E. Damnon

 

Regard sur l’oeuvre de Vieira da Silva

J’ai le plaisir de vous présenter deux publications parues dans la revue « étoiles d’encre » n° 57-58 des éditions Chèvrefeuille étoilée.

Une mise en perspective subjective de l’art de Vieira da Silva

« Grenouille », un poème de Huguette Bertrand en résonance avec une PastelLithe

 

DA_SILVAParis la nuit, huile sur toile de Vieira da Silva. 1951, 54x73cm. Extrait panoramique de l’oeuvre

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GrenouillePastelLithe de Marie-Lydie Joffre

 

 

Bleu 2 de Miró. Interaction du fond et du sujet en peinture (4)

Suite et fin de de l’entretien « Interaction du fond et du sujet en peinture »

Bleu 2 de Miró

Miro_Bleu2Bleu II. Huile sur toile, Miró, 1961, 270×355 cm, Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. Cette oeuvre est le numéro deux d’un triptyque.

 

Je commençais par dessiner au fusain dès le petit matin. Je consacrais le reste de la journée à me préparer, puis, enfin, je me mettais à peindre. Le fond d’abord… Les mouvements du pinceau, du poignet, la respiration de la main, tout comptait. Ce combat m’épuisait. Miró

Miró a recouvert la totalité des toiles grand format de son triptyque, Bleu I, II, et III, du bonheur de se perdre dans l’ampleur d’un bleu méditerranéen. La couche picturale est légère, et le bleu qui paraît uniforme au premier abord, est moiré. A partir de ce fond, l’artiste a distribué les éléments de ses compositions decrescendo. Il est important pour moi d’arriver à un maximum d’intensité avec un minimum de moyens. D’où l’importance grandissante du vide dans mes tableaux. Miró.

Miró, de retour d’un voyage aux Etats-Unis, est inspiré par l’Action painting de Pollock et par l’Expressionisme abstrait de Rothko. Mais chez lui, les formes ne sont jamais totalement abstraites, elles restent reliées à la vie, à la nature, aux constellations…

Bleu I fait jongler des planètes ténébreuses dans toute l’étendue du support.

Bleu III est l’oeuvre la plus minimale. Tombée du ciel, une météorite ancre la toile, tandis que tout en haut, vibre une coccinelle cerf-volant prête à s’envoler, retenue à un fil d’araignée traversant le tableau en souple diagonale.

Bleu II est le pilier central du triptyque. Sur la quiétude fluide de son espace indéfini, se découpe à la lisière de l’oeuvre, en une gestuelle oblique de banderille, une lance ensanglantée qui ressemble à une blessure. L’intense couleur de cette forme, pour peu qu’on la fixe des yeux, projette sur le fond bleu des rayures cinétiques rouge flou ! Elle est escortée d’une portée de gouttes, lunes noires, galets, notes de musique…

Sa partie haute est ombrée de bleu tremblé. L’artiste l’a voilée d’une légère couche de rouge qui laisse transparaître une remontée de bleu du support. Puis, il l’a ceinturée d’une ganse vermeille. A moins, qu’inversement, les pigments issus du bourrelet aient diffusé dans ceux du fond bleu encore humide. Ce fil rutilant cernera tout le pourtour de la forme.

Dans la partie basse, la charge de peinture est travaillée graduellement de recouvrements huileux, jusqu’à s’embraser à la pointe d’une flèche vermillon. – Les trois peintures obéissent à la consigne classique : dessous maigres et superpositions progressivement épaissies en liant gras – En excès d’huile, la couche picturale s’écorche ici en minuscules particules de peau pigmentée, prodiguant une chaude texture au travers de laquelle on devine parfois comme le souvenir bleu du support sous-jacent.

L’ombre indécise qui auréole le pourtour de la forme est probablement due à un reliquat d’huile qui se propage par capillarité en un halo rosé sur l’azur du fond. En outre, des rehauts la creusent pour la sous-tendre d’un relief de véhémence. Si le regard se noie dans le bleu, il se produit alors une propagation de coulées bleu lactescent qui répondent à des passages de nuées violines.

Les aplats lunaires bien que lissés de noir, paraissent en apesanteur. Ces petits pas de jeu de marelle, conjugués à la plateforme rouge, ont des affinités avec les mobiles de Calder. Le peintre et le sculpteur, liés d’amitié, partagent l’idée de liberté et un art inventif, ludique et poétique allié à la grâce du mouvement.

Sur le fond céruléen de l’oeuvre, s’égrainent à l’infini le rouge incandescent d’une turbulence de soleil, et le noir d’éclipses de lunes…

 

Accrochage du triptyque Bleu 1, Bleu 2, Bleu 3 au Centre Pompidou :
http://culturebox.francetvinfo.fr/expositions/peinture/les-trois-bleus-de-miro-au-centre-pompidou-un-reve-une-evidence-108961

Aquarelle de Delacroix. Interaction du fond et du sujet en peinture (3)

Cheval effrayé par l’orage est une aquarelle romantique d’Eugène Delacroix. Au premier plan, le cheval qui se cabre semble émaner de la fougue du ciel, grâce à la préparation dynamique du fond de l’oeuvre sur lequel il se découpe en un contraste saisissant de luminosité. Un ciel profond, noir nuagé de verts, dont on devine par endroit le grain du support papier, un sol éclairé sépia, et entre les deux, une étendue glacée de noir à la finition du travail, servent de mise en valeur au corps elliptique du cheval dont la silhouette électrisée, zébrée de zones verdâtres, a été préalablement réservée sur le support dès la mise en oeuvre.

 Delacroix_cheval_LCheval effrayé par l’orage. Aquarelle d’Eugène Delacroix. 23,6x32cm. 1824. Budapest, musée des Beaux Arts.

Médusé, le cheval est peint à l’aide des éléments. Les ombres vertes et sombres du corps et des pattes y sont puisées, réchauffées parfois d’un lavis brun de la teinte du sol ou soulignées de vert clair pour trancher sur les tonalités sombres. Les pattes en zigzag font écho à la fulgurance des éclairs. La crinière et la queue miment le tumulte des nuages à coups de vagues de flammèches d’où émergent des figures de harpie, de dragon…

A noter que la touche verte, posée directement sur le blanc du papier, est aérienne. Rare en aquarelle, la texture des rehauts est pâteuse, toutefois fouettée par le trait nerveux de Delacroix. Les parcelles du support papier non recouvertes de peinture chauffent le cheval à blanc. Au cœur de l’œuvre, des pointes écarlates, complémentaires de toute cette véhémence de jade, ajoutent un cerne dramatique aux yeux exorbités, naseaux flageolants, oreilles dressées en bec d’aigle crachant le feu du ciel !