Degas et le papier calque (5)

Ultimes pastels sur papier-calque

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Degas a pour habitude de signer ses œuvres lorsqu’elles quittent ses mains mais pas celle de les dater. C’est pourquoi beaucoup de pastels sont approximativement référencés. Néanmoins la période mentionnée aide à définir la nature du travail.

Dans la lignée du pastel « Femme à sa toilette », situé entre 1900 et 1905, présenté au chapitre Pastel sur papier-calque, voilà ci-dessous le pastel « Femme vue de dos, se séchant les cheveux » situé dans la période 1905-1910. On y retrouve le thème récurrent de la femme à sa toilette dans la salle de bain, le corps pudiquement replié, mais ici le traitement du pastel est spécifique.

En effet, cette œuvre, comme toutes les œuvres tardives de Degas, est sous influence de sa vue déficiente, ce qui incitera le peintre à renoncer peu à peu à la précision naturaliste pour ne retenir que l’intensité de l’émotion.

Les plus fulgurants pastels sur calque, notamment les nus, sont issus de cette période de fin de carrière où les touches de pastel zigzaguent à l’aventure, tout en stridences de lignes et couleurs.

Le pastel « Femme vue de dos, se séchant les cheveux » est un peu à la charnière des deux manières, comme un soupir entre la période des nus classiques atypiques, et celle des nus ultimes désormais troublés de vibrations.

Femme vue de dos, se séchant les cheveux, vers 1905-10
Pastel sur calque, 57 x 67 cm
Paris, collection privée

(Reproduction extraite du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications London, 1996)

Observations :

Rien ne manque à cette œuvre, des rituels de Degas, ni le thème intime de la femme à sa toilette, ni le montage du support à l’aide d’ajouts de bandes variées de papier-calque.
Pourtant
Il ne reste que soupçon du nu et du décor tant de fois réitérés, libérés de tout artifice de mise en scène.
Ici, Degas, ayant à s’adapter au brouillard de sa vue se fait oublieux de perfectionnisme et de réalisme. On plonge ainsi dans la suggestion des couleurs et la simplification des formes.

La composition se résume aux lignes essentielles d’un nu émergeant d’une corolle. Abstraction du décor, traces de leitmotivs : tentures évoquées par d’obliques bandeaux de couleur, pudeur du nu presque disparu, enfoui dans un grand triangle musical joignant le sommet de la tête à la pointe du coude et à celle du reflet bleu ; au centre du triangle, se niche la pointe du sein gauche en résonance au triangle dessiné par le bras droit. Ellipses de formes si souvent caressées de pastel, le dos se déploie en éventail, la discrète chauffeuse, couplée à l’allusion d’une baignoire, semble prendre son envol. Des raccourcis synthétiques à la Picasso sont déjà inscrits dans ces va-et-vient géométriques !

Les couleurs sont exécutées en aplats, de façon hâtive. Il ne s’agit plus de définir des tonalités d’étoffes ou de chair mais plutôt d’irriguer de coulées d’ensoleillement ; et voici que l’ocre jaune pénètre jusque dans le corps en soleil fondant veiné de véloces hachures bleutées turquoise, et que la carnation du dos se fait peau de parchemin enluminée de quelque apparition à rayonnement mystique façon Odilon Redon !
Le nu est baigné d’un halo bleu, peut-être conséquent au travail insistant de décantation d’un nu préalable, dont on devine à partir de la tête, la trace modifiée le long de l’épaule et du bras.

De fines lignes bleu sombre semblent inciser l’étendue de neige de la serviette blanche et rappellent la passion de Degas pour la gravure. On les dirait comme tailladées pour recueillir le bleu de la couche de pastel inférieure… ! Ces lignes, sommaires, et comme griffonnées par endroit remplacent un travail de relief attentionné que le peintre aurait pu faire en d’autre temps. Maintenant Degas n’impose plus, il s’adapte à la vérité des choses.

Doux linge lacéré, pour la frustration de toutes les serviettes qui ont épongé la chair moite des femmes au sortir du bain ? Reflet d’émail bleu dans la baignoire ou gros poisson à tête bleue s’abreuvant à la source du mystère féminin, pour toute l’eau des ablutions à répétition ?

Les passages bruts de couleurs, ocres brun et jaune contrastés de bleu et blanc, et la bichromie chaud et froid de l’oeuvre, la font émerger au-delà de la scène intimiste évoquée. Il pourrait être question ici de bois, d’eau, de neige, de soleil, d’évasion ! Les contingences temporelles sont transfigurées par le regard intérieur du peintre.

Ainsi ce pastel est-il comme une transition méditative entre les nus antérieurs aux couleurs éruptives nées d’enchevêtrements de lignes aux tonalités osées, et les nus ultérieurs qui vont s’enrober d’éclairs pour mieux résister à la nuit qui tombe peu à peu du regard de l’artiste.

Cette quête de l’essentiel confère une dimension spirituelle à l’œuvre, icône stylisée et dorée, cubiste déjà, mais surtout intemporelle. Oeuvre visionnaire !

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ArTbre (3)

ArTbre est un livre d’artiste à deux voix. Tirage limité à 30 exemplaires.
Encres de
Marie-Lydie Joffre – Poèmes de Carole Menahem-Lilin .

Il n’y a pas
D’arrêt
Que des recommencements avivés par la mort

Sous la terre courent les racines
Et quand on m’enfouira je deviendrai
Muqueuse
Pour une langue à venir.

Tremble
Arqué dans son carquois craquant
Et les rejets ne s’écartent
Que pour de nouvelles flèches
Plumes de geai dans le noir de nos signes.

Tremble
Signe siffle nos épaules.

Arbre, sentinelle du temps

Arbre sentes, sentiers
Etagements longs, flexibles,
Toits sans Ego
« Soi » de feuilles.

Branches déclinées à tous les temps
A toutes les fenêtres

Depuis les pieds démesurés qui prirent racine
Jusqu’au faîte qui frissonne
Dans le dur pinceau d’hiver.

Suspendre ses draps, déplier ses doigts,
Pousser ses branches
A tous les temps de l’être

Dans l’arbre, arboriser
Et suivre de son souffle
Sans pudeur
Ni orgueil
L’incroyable étagement

Multiplier ses insectes
Préparer ses âges
Fomenter le fruit.

Aux soupentes du temps
Toucher du doigt
Les caravelles du ciel.

Collier d’engelures
Boutons de cicatrices
Superbe
Dans l’étreinte millionnaire
De ses doigts noircis

Noir du diamant
Dans la soie de l’hiver.

Celui-là ne sait rien
De la petitesse de nos vies pressées
Il entrecroise ses branches
Comme nous déroutons nos quartiers

Tant de ramures
Comme rideaux
A nos fenêtres

Regards d’écorce
Routes de sève
Dans nos veines le solstice
Recommencé.

Olivier de ma vigne
Agenouillé
Cagneux
Rageur

Ton œil rond
Tes bras sans chemise, noueux

Tu affrontes l’amour rauque
Tu affrontes les vents braques
Les tempêtes de saveur

Et tes branches,
En bataille,
S’enflamment blanches.

Celui-là est seul
Décidé
Et l’orage
Ne l’échouera pas

Pourtant
Du centre il craquera
Comme un livre ouvert

Oiseaux insectes lézards
Ecureuils papillons

Conquérir très haut
La lumière
Afin de s’ouvrir pensif
Aux vies presque invisibles
Minuscules et sauvages

Ecrire
Le livre sur l’écorce.

……

A suivre
ArTbre 1
ArTbre 2

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ArTbre (2)

ArTbre est un livre d’artiste à deux voix. Tirage limité à 30 exemplaires.


Silhouettes effrayées
Soudées au ciel
Par le nœud de leurs branches

Branchies, bronches
Respirent les nuées
A pleins poumons du temps

Respirer
Survivre – résister

Ecorces effrénées
Bouches de la tempête

Depuis les racines jusqu’au faîte
Une pleine guitare sonore
Une cargaison de vies
Effrayées
Respirantes

L’arbre parfois halète
Pour ne pas gémir.

Ventre
Dénudé dans sa noirceur praline

Les engelures
Produisent un gel d’ange
Et les branchelures
Branchellement
Etincellent.

Le sel de l’aube.

Le sang de l’arbre.

Un parfum d’écorce me hante
Un parfum de bois, dans la terre brûlé
Brûlé très lentement comme
On étouffe les feuilles.

On a endormi des livres et brûlé des enfants

On a bâillonné
On a fait croire
Le contraire de l’être

Mais la plainte demeure

Et sur la plainte
Qui enfonce ses racines
Qui croît en ramures

Sur la plainte
Le rire court de feuille en feuille
Comme coccinelles
Courent et s’unissent
Pour recommencer
Le soleil planté.

Flamme noire
Van Gogh brûlé
En bordure de forêt

Corps sans artifice

Arbres
Entrer en eux
Comme dans mes rues je rentre
D’une ruade affamée

Coquille d’ardeur
De sève tordue
Et de bois soleil

Boire le soleil

Je suis la porte
Ils sont les murs.
Et ma bouche,
Depuis les groseilliers de mon enfance
Depuis les frênes et les pruniers,
Depuis toujours les chante
Rouge dans l’arbousier rose.

On a vendu mes arbres
Mais ma voix dans leur voix m’est restée
Trace
Cicatrice
Qui par moments s’envole
Comme l’oiseau brun dans le poirier

Comme caillou dans la poitrine
Ma voix s’envole…

Et les arbres
M’accueillent oiseau triste
Promptement consolée du
Provisoire
De la déchirure
Par leurs bras entravés.

Et les arbres
Me rendent la mémoire minérale
M’ôtent la mémoire de moi-même
Aujourd’hui

Bâillon du désir
Mettent dans ma bouche
Un goût de fer et de bourgeon

Un instant n’être plus rien que flèche
Vibrance noire
Dans l’air bleu.

……

A suivre
ArTbre 1
ArTbre 3

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ArTbre (1)

ArTbre est un livre d’artiste à deux voix. Tirage limité à 30 exemplaires.
Encres de
Marie-Lydie Joffre – Poèmes de Carole Menahem-Lilin

Préfaces

Les poèmes ont été écrits en quelques heures hypnotiques, durant lesquelles ces arbres saisis par Marie-Lydie semblaient sortir de la page pour m’appeler, et m’entraîner dans le vent et l’odeur des racines – très loin dans la forêt du réel, dans le bois de l’enfance. Sourires, larmes, jaillissement, retours, secrets.

Marie-Lydie lorsqu’elle dessine sur le motif travaille vite, dans l’essentialité du rythme, comme en transe. Et moi je m’imprègne de ses encres jusqu’à écrire de même dans le saisissement / dessaisissement. Surgissent alors des mots que je n’attendais pas, des images que j’ignorais porter.

Me découvrir dans l’autre – découvrir l’étrangeté en moi. Ecriture au crayon de bois noir, autour, au-dessous, au-dessus des encres scannées et reproduites. Entourer, cerner, creuser. Presque écrire entre les lignes du dessin, comme on se coule entre des troncs, comme on explore le labyrinthe.
Puis retourner la page et m’évader dans une blancheur striée de noir.

Carole Menahem-Lilin

J’oublie tout auprès de l’arbre, à le dessiner sur le vif ! Le calame trempé d’encre de Chine court sur la feuille blanche au rythme de mon souffle porté par le vent et la lumière du ciel…

Marie-Lydie Joffre

Geste somnambule des danseurs
Inconsciente beauté

Dans l’élan de soi,
La route du tronc
Les cinq doigts les trois branches
Et le ciel qui s’enfuit,

Vol sauvage en déroute

Soie déchirée.

Amour à distance
L’une dans l’autre les branches
S’appréhendent et s’emboîtent,

Et le ciel qui frémit
Ici fait la tendresse,

Ou le vent transparent
L’appel de la furie.

Troncs portés levés inclinés :
Arbres somnambules
Dans le tremblement noir d’amour

Balancement
Montée de la sève
Rêve féroce

Aube d’aubier.
S’embrasser
Ne faire qu’un
A distance

Mêlée furieuse de racines
Et de branches
Sous la terre.

(Avez-vous tenté déjà
De résister à l’avancée inexorable
Des racines ?)

Au-dessus de la terre
Postures de danseurs ivres
Equilibres sensuels

Maintenir la distance
Pour voler ensemble le soleil.

D’un tronc unique
Deux corps jaillissent :
Danseurs de tango
Aimantés par le ciel

Tant d’années pour
Cette dentelle brève
La geste et la mémoire
Du vent qui façonna.

La lune qui étreignit
La lumière entre les feuilles
Ne sont plus que
Ce tremblement noir,

La déroute des écorces
L’amour peut-être
Patiente dilatation
Séparation des milliers de vies
Minuscules
Dans les éclats gris du tronc.

Aller venir
D’une aile surprise
D’une branche indolente
Des frissons à la nuit

Dans le manteau goûteux de la pluie
Ouvrir ses yeux d’écorce
Par millions
Ses ventres doux
Eventail sexuel

Branches tendues, exacerbées.

Mica tremblant
Lente poussée des racines
Rendez-vous millénaire
Des mousses à fleur de terre.

A chaque enfant son éveil
Cursives et dents de lait
Premières lettres découpées
Dans la page d’ombre et de soleil

Petits loups
Dans les bois de leurs mères
Où la faim crie
Car il faut bien que la curiosité
Retourne les ventres.

Mots murmurés
Par les bouches brillantes
Par les branches souples
Des cheveux de leurs mères.

…..

A suivre
ArTbre 2
ArTbre 3

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Degas et le papier-calque (4)


– Fixation du pastel sur papier-calque
– Montage du pastel sur papier-calque

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Fixation du pastel sur papier-calque

Depuis l’existence du pastel, y compris son âge d’or au 18° siècle, les pastellistes s’évertuent à rechercher un fixatif idéal. Degas se jettera à l’eau, ce qui est le cas de le dire, puisqu’il fera des expériences de fixation en travaillant le pastel humecté à la brosse ou en aspergeant par endroit l’œuvre au pastel d’eau bouillante ! Mais l’eau n’a jamais vraiment fixé le pastel !

Les expérimentations pour une bonne adhérence du pastel au support, Degas les multipliera. Par exemple pour faire pénétrer la couleur dans le support, il n’hésite pas à l’occasion à rainurer chaque couche de pastel pour que la poudre irradie dans les interstices. Il va même jusqu’à brûler la surface du pastel pour mieux la lier à la couche inférieure. Les brûlures parviennent à faire de beaux effets sur les couleurs de certains pastels mais en revanche froissent le support et y font facilement des trous.

Refusant d’employer des adhésifs du commerce, Degas confectionne ses propres fixatifs. Il utilise notamment un fixatif à base de caséine qui semble assez efficace (la caséine du lait est utilisée comme liant de peinture) ou un autre à base de colle de poisson. (colle souple utilisée en marqueterie) Il fait aussi des mélanges, par exemple ajout de résine à la caséine. Mais le fixatif le plus satisfaisant est à base de résine. La composition de ce produit, qui lui est confiée par un ami, Luigi Chialiva, reste encore secrète de nos jours… Toute information à ce sujet est ici bienvenue !

Le fixatif est le matériau indispensable à l’alchimie des fusains et pastels sur calque, support lisse et de surcroît fragile. Degas utilise le fixatif de façon intermittente pour isoler les couches de pastel, superposées et juxtaposées, et ainsi prévenir le barbouillage inhérent aux mélange des couleurs.

De plus, une surface fixée lui est nécessaire pour retravailler par-dessus une œuvre ancienne, selon son habitude. Chaque couche fixée forme une surface rêche, propice à l’adhérence de la nouvelle couche de pastel.

Degas commence l’œuvre par un dessin au fusain qui servira de base au pastel. Le fusain sur calque est fixé pour stabiliser la poudre cendreuse. Un dessin au fusain non fixé se dégrade rapidement s’il est manipulé. En tant que matrice des pastels de Degas, le fusain est la charpente de l’œuvre et se doit d’être stable car on en retrouvera les lignes dans le pastel définitif et des traces dans la texture des ombres et des couleurs.

Par ailleurs, Degas fait usage du fixatif comme d’un médium, c’est à dire un liant pour obtenir des matières et des effets nouveaux.
Sous fixatif, les couches de pastel prennent une sorte de patine, comme si une vague de couleur liée par le liquide résineux du fixatif venait recouvrir une autre vague. Chaque fine pellicule de pigments fixés devient translucide comme l’ambre et, en superposition, laisse transparaître la mémoire de la couche inférieure, laissant deviner la vie sous-jacente.

Degas vernit l’avant dernière couche du dessin avec un fixatif puis termine par une couche de pastel non fixée pour conserver la fleur du pastel. Le poudroiement ultime adhère bien à la couche du dessous devenue un peu rugueuse sous l’effet de la fixation.

Des contrastes de matière sont obtenus avec le pastel non fixé conservant sa matité naturelle, et le pastel fixé d’un jet vif par endroit pour provoquer une zone brillante.
Le fixatif affine la couche de pastel, donne un lustre aux chatoyantes zébrures de pastel des couches superposées, elles-mêmes bénéficiant de la surface translucide du calque, tout ce processus rappelle probablement à Degas les glacis qu’il admire tant dans la peinture à l’huile.

Toutefois, les supports des œuvres aux multiples couches se sont flétris. Les effets conjugués de la colle utilisée au montage, et du fixatif ou des fixatifs de qualité différente, recouvrant la même œuvre au pastel, ont à la longue assombri les tonalités des pastels sur calque et altéré bien des couleurs, éclatantes à l’origine.

Mais si les pastels se sont assombris dans le temps, ils perpétuent en quelque sorte le tempérament angoissé de Degas ! Quant à la nature intrinsèque de l’art, n’est-elle pas de se dégrader, tout comme la vie ?

Montage du pastel sur papier-calque

L’œuvre sur calque, fusain rehaussé de pastel ou fusain complètement pastellé, est montée sur un support rigide. Le calque principal et les ajouts de papier-calque sont collés ensemble sur le support.

Un colleur professionnel assiste quelquefois Degas. L’opération est délicate et des bulles d’air peuvent rester coincées sous le calque.

Là aussi, tout comme pour le fixatif, il est difficile de préciser la qualité de la colle utilisée par Degas. Hypothèses : colles de poisson, de peau de lapin, colle à la caséine, résine ?

Pour compenser l’altération du calque à la lumière, le calque de l’époque ayant tendance à jaunir et à foncer, le pastel est d’abord collé sur papier blanc pour donner de l’éclat, lui-même fixé sur carton épais ou sur panneau.

Le montage sous adhésif est une façon non seulement d’aplanir et de consolider le calque mais aussi de faire bénéficier les pigments, humectés par l’encollage, d’un supplément de fixation.

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Degas et le papier-calque (3)

– Oeuvres en série sur papier-calque
– Ajouts de papier-calque

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Oeuvres en série sur papier-calque

Décalque, dessin et progressive intervention de la couleur au pastel, 5 à 6 œuvres, disposées sur des chevalets peuvent être ainsi traitées en séquence par Degas.

Répliques, variations inversées, travaux anciens retravaillés, une véritable dynamique s’installe, générant des suites de compositions d’inspiration identique.
Par exemple (voir les illustrations ci-dessous) un groupe de nus au fusain, servira de matrice à des séries de danseuses en tutus. Chaque œuvre étant renouvelée sous l’effet de tout un arc-en- ciel de couleurs, alliées à des modifications de forme et de format. A noter les grandes dimensions des formats dans l’ensemble.

Groupe de danseuses vers 1897-1901
Fusain sur papier-calque
77,2 x 63,2 cm
Little Rock, Arkansas Arts Center

Groupe de danseuses vers 1897-1901
Pastel sur papier-calque
73,5 x 61 cm
Basel, Galerie Beyeler

Danseuses en vert et jaune vers 1899-1904
98,8 x 71,5 cm
New York, Solomon R. Guggenheim Museum,
Thannhauser Collection

(Reproductions extraites du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications London, 1996)

Outre les enseignements que la dynamique des œuvres en série engendre, ce rythme de travail soutenu est devenu nécessaire à Degas pour gagner sa vie, d’où le grand nombre d’oeuvres sur un thème à succès, les danseuses, « mes articles » dit-t-il, ainsi que la femme nue à sa toilette. Le calque sera un auxiliaire précieux pour la propulsion de ses oeuvres.
Les pastels sur le thème des danseuses en particulier sont tellement retravaillés par décalque ou contre-épreuve (dessin inversé obtenu sous pression) que les personnages deviennent l’archétype de la vision de Degas et ne sont plus perpétués par des études d’après modèle vivant.

Ajouts de papier-calque

Degas n’étant jamais satisfait de son œuvre, il lui arrive fréquemment, outre de la retravailler au pastel, d’en varier le montage.
Par ailleurs, le relevé rituel de dessins de personnages provenant d’œuvres antérieures, l’incite à modifier le format pour créer de nouvelles compositions.

Il modifie la superficie d’une composition sur papier-calque en ajoutant des bandes de papier-calque aux formes et aux formats variés.

Nombre d’œuvres sont agrandies de la sorte par ajouts successifs. Certaines œuvres sont montées carrément façon patchwork !

En retour, certaines peuvent subir des réductions de format !

Les supports papier, reçoivent des manipulations similaires, le principe de Degas étant de partir d’une forme simple pour arriver par extension à de grandes compositions.

Le calque de par sa facilité d’emploi, son pouvoir de multiplication, sa présentation disponible en rouleau, favorisant les grands formats, stimulera la vision de Degas.

Voir ci-dessous « Petit déjeuner après le bain », un exemple d’agrandissement d’une œuvre au pastel sur calque.

Petit déjeuner après le bain, vers 1893-8
Pastel sur papier-calque
119,5 x 105,5 cm
Winterthur, Kunstmuseum

(Reproduction extraite du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications London, 1996).

Observations

La composition est une reprise du pastel « Le petit déjeuner à la sortie du bain » examiné au paragraphe Pastel sur papier-calque
Variante : le nu est assis.
Le format, de très grande dimension, est presque carré et monté à l’aide de bandes de papier-calque juxtaposées.

On pourrait répertorier dans cette œuvre une quinzaine d’ajouts de morceaux de papier-calque perceptibles à l’œil nu. Certains ajouts sont nettement visibles à la jointure quand le papier a travaillé. D’autres sont habilement masqués par le fusain ou la couleur du pastel.
Par ailleurs, plus on scrute l’œuvre, plus surgissent des ajouts insoupçonnés, comme par exemple un triangle dans le coin droit en bas !

Voici les ajouts discernables, déclinés de bas en haut :

– Une bande horizontale dont la largeur est comprise entre la base du tableau et l’assise du nu, se déroule comme une frise d’étoffes : un bout du drap de bain blanc étalé par terre, le bas de la robe de chambre et le bas du vêtement de la servante.

– Une autre bande, très large s’étale au-dessus, depuis l’assise du nu jusqu’en haut d’un meuble, ou peut-être d’un coussin, vert ? Cette portion de papier-calque est un assemblage de 6 à 7 morceaux de calque de largeurs variées. Le pastel du nu semble avoir été peint, puis découpé serré comme pour contenir dans un carré qui serait délimité par l’assise de la cuisse gauche et le coude saillant du bras droit : une vision de sculpteur ! Puis le pastel a été collé, possiblement sur un support de carton blanc. La tonalité du pastel situé dans la partie du calque comprise entre l’assise du nu et le poignet droit, paraît voilée, comme si le support était lui-même recouvert d’un morceau de calque vierge. Peut-être cet effet écran de buée est-il dû au traitement du nu : flou de l’estompage rehaussé d’une fine pluie de rayures arc-en-ciel, le tout fondu sous le jet du fixatif.

– On discerne une autre bande horizontale, comprise entre le haut du coussin et le sommet de la tête de la servante. Ici est représentée la tapisserie qui se termine sur la gauche par des ajouts hétéroclites, pastellés de repentirs. Enfin une bande moins large et non pastellée dans le haut de l’œuvre, prolonge la tapisserie pour libérer l’espace au-dessus de la servante, à moins qu’il n’y ait pas de calque collé sur cette partie et que ce que l’on voit corresponde au support de carton qui sert de base au montage des calques…

– Tous ces ajouts horizontaux semblent coupés verticalement dans le prolongement de la serviette blanche par une mosaïque de papier-calque, sur toute la hauteur du côté gauche de l’œuvre. Ces morceaux de calque irréguliers sont assemblés pour prolonger l’espace devant le nu. Mais l’écart n’étant pas jugé encore suffisant, Degas ajoutera une étroite lanière de calque tout au long du liseré gauche de l’oeuvre. D’autres lanières, parfois incrustées de lamelles de calque, vont également parachever les dimensions des bordures à droite et en bas de l’œuvre.

Il semblerait que le nu au pastel, de facture travaillée, brodé de fines hachures aux couleurs tendres, sur le canevas au fusain, soit une œuvre antérieure récupérée, et l’élément de base à partir duquel tout s’ordonne pour en agrandir le format et composer une œuvre nouvelle. A commencer par un étroit ajout de papier-calque pour arrondir le haut de la cuisse dont un morceau avait été sacrifié à la découpe ! Le bras gauche du nu ainsi que la chevelure paraîtraient avoir été ajoutés au nu initial, dont le calque est coupé au niveau du genou.

Le dessin du personnage de la servante est sommairement esquissé au fusain, rehaussé de rapides aplats de pastel jaune et blanc. Les dessins de la robe de chambre et de la tasse sont traités de façon un peu moins expéditive. Ces traitements contrastent cependant avec le raffinement du pastel du nu, si bien que la servante, et son bras surgissant de façon quelque peu mécanique, semblent appartenir à un autre monde pictural que celui du nu. Le pastel développe ici conjointement son pouvoir spécifique de technique et de dessin et de peinture…

En tant que lien entre pastel à grands traits et pastel travaillé, voici la masse drapée de la robe de chambre chamarrée présentée par la servante. Son aspect varie en fonction de la qualité des morceaux de calque sur lesquels elle est façonnée.

– Dans le bandeau du bas, le dessin vif aux arabesques rousses, apaisées de bleu, sur le fond du calque effleuré d’ocre jaune, conserve la luminosité d’une esquisse car il est exécuté sur du papier-calque intact. Il en sera de même pour les ajouts compris entre le haut de la tasse et le haut du coussin.

– Dans le large bandeau suivant, de l’assise du nu au poignet droit, l’aspect de la robe se trouble auprès du nu. Sous les motifs jaunes et roux du tissu, on y devine, en sous-couche, le pastel clair du prolongement du corps : la chute des reins, avec un faisceau de lignes arachnéennes rappelant les fines zébrures de la chair du nu. Sur ce substrat sont peints en technique humide, pour une bonne adhérence des pigments, les rehauts bleutés des motifs. Ces couches de pigments superposées et fixées entre elles, acquièrent la texture résineuse de l’ambre et les motifs pâles de l’étoffe surnagent comme des reflets sur l’eau profonde.
Un semis de pointillés à la gouache bleutée, essaie de masquer la main droite du nu, saturée de pastel. Mais ces détails attirent plutôt l’attention sur le côté bourbeux du pastel non abouti.

– Enfin, la robe se termine par un arrondi directement tracé au fusain sur le support du calque de la tapisserie. Degas y laisse jouer les clartés roses du fond de la tapisserie ainsi que les motifs bleutés tandis que les touches de vert bronze sont habilement mêlées aux traits du fusain, matériau qui exacerbe la beauté des pigments verts.

Cette volumineuse robe d’intérieur, symbolique de l’atelier vase-clos privilégié par Degas, coincée entre deux tentations féminines, prend soudain la forme d’une brave bête, (projection de Degas ?) peut-être un peu lasse de peindre le nu à perpétuité, toisant le spectateur de son oeil de cyclope, tendrement consolée sur la poitrine de la servante, et qui serait en train de humer le chocolat réconfortant ? Même si cette interprétation est un peu surréaliste, il est vrai que Degas n’hésitait pas à mettre de l’humour, parfois outrancier, dans certaines œuvres et que son inconscient aurait pu ici le trahir !

A suivre

Degas et le papier-calque : Introduction

(1)
Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque
Contre-épreuve de dessin au fusain
(2)
Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel
Pastel sur papier-calque
(3)
Oeuvres en série sur papier-calque
Ajouts de papier-calque
(4)
Fixation du pastel sur papier-calque
Montage du pastel sur papier-calque
(5)
Ultimes pastels sur papier-calque

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L’être à deux

Publication d’un poème de Claire Gérard d’après une encre de la collection « Nu-Arbre » de Marie-Lydie Joffre dans la revue étoiles d’encre n° 31-32 sur le thème « L’être à deux ».
Editions Chèvre-feuille étoilée

Sensualité

Les branches mêlées s’enlacent comme une étreinte
Etreinte de deux corps en accord
Dans l’espoir de se reconnaître
Pour mieux renaître
Et faire rejaillir leurs âmes
Dans leurs impétueux ébats
En se réunissant à jamais

Claire Gérard

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Clairegerard34AROBASyahooPOINTfr

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Nus


Des encres de Marie-Lydie Joffre, 3 nus de la collection « Cette blessure » d’après la chanson de Léo Ferré, et un nu de la collection « Nu-Arbre » ont été reproduites sur les documents de communication des

11° Journées Liégeoises de Gynécologie-Obstétrique

Jeudi 20 et vendredi 21 septembre 2007
Palais des congrès de Liège
1 esplanade de l’Europe
4020 Liège

Une organisation du Département de Gynécologie-Obstétrique de l’Université de Liège
Coordinatrice des Journées : Jacqueline Coppée
Graphiste : Alain Maes

Brochure Première annonce


Affiche-bannière, pliable en accordéon, du programme des Journées

Trois bannières de 150 cm sur 500 cm
Une bannière accrochée dans la salle de l’auditoire
et deux (ci-dessus) dans l’entrée du palais des congrès de Liège

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Un livre de nouvelles vient de paraître…

« Passages » nouvelle de Carole Menahem-Lilin

Illustration de couverture : encre de Marie-Lydie Joffre (collection Nu-Arbre)
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Bonjour !

Je remercie Marie-Lydie de m’avoir invitée sur son blog, dont je parcours toujours les pages avec plaisir… Je m’appelle Carole Menahem-Lilin, je suis écrivain et animatrice d’ateliers d’écriture sur Montpellier et sa région.

En 2006 j’ai créé, avec Marie-Lydie, un livre d’artiste, ArTbre (présentation sur le blog en avril 2006, http://www.marielydiejoffre.com/blog/2006_04_01_archive.html ).

D’autres exemples de la poésie que m’ont inspiré les œuvres de Marie-Lydie sont présentés sur mon site, http://carole.lilin.free.fr (rubrique Poégraphie). Je la considère un peu comme ma marraine en poésie, car c’est la force de ses œuvres, et l’accueil qu’elle a fait à mes textes, qui m’ont donné envie de revenir à l’écriture poétique, abandonnée depuis des années au profit de la prose.

Depuis, j’ai publié poèmes et nouvelles en revues (Etoiles d’Encre, Souffles, XYZ…). En 2007, un recueil poétique, « Enfance d’écorce » est sorti aux éditions Souffles, et des nouvelles surréalistes, « Enfermées », ont été publiées par Guy Bouliane (Québec, http://www.millepoetes.com/ rubrique Nouvelles). Je récidive aujourd’hui avec Passages, recueil de nouvelles qui sortira en novembre 2007 aux éditions Terriciaë (http://www.editions-terriciae.com/ , collection Gaïa).

Ce qui m’inspire ? Ces moments où l’autre, le rêve, l’inattendu, font irruption dans notre réel. Ces journées où échapper à l’emprise de situations sclérosées, pour aller vers un désir probablement dangereux, mais vital, semble possible… Mais quel est le prix à payer pour effectuer ce passage vers plus d’unité ? Les personnages de ces nouvelles (jeunes femmes, artistes, « passeur », enfants…) vont tenter de saisir leur destin par les branches, de l’incliner vers eux, de le décliner à leur manière… avec plus ou moins de réussite mais avec passion, toujours.
Pour illustrer la dynamique de ces moments de passage, je ne pouvais rêver mieux qu’une des encres de Marie-Lydie. Je tiens à l’en remercier ici, ainsi que mon éditeur qui a réussi, à mon avis, une belle composition.

Carole Menahem-Lilin

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Degas et le papier-calque (2)

– Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel
– Pastel sur papier-calque
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Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel

Remise à jour de l’article prochainement


Entrée des croisés à Constantinople de Eugène Delacroix, 1840
Peinture à l’huile
410 x 498 cm
Musée du Louvre


(1)
Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque
Contre-épreuve de dessin au fusain
(2)
Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel
Pastel sur papier-calque
(3)
Oeuvres en série sur papier-calque
Ajouts de papier-calque
(4)
Fixation du pastel sur papier-calque
Montage du pastel sur papier-calque
( 5)
Ultimes pastels sur papier-calque

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