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Quand le pastel est aussi bien approprié au dessin qu’à la peinture
« Méditation » pastel de Odilon Redon. Non daté, signature en bas à gauche. 46,5 x 55,5 cm.
Collection privée. Source : The Athenaeum
Bouquet bondissant
A première vue, « Méditation », pastel d’Odilon Redon ressemble à une image pieuse, ensemencée de bleus qui mettent en valeur des couleurs de gourmandise à la Matisse. Essaimé, les bleus, déclinés en aplats à peine estompés ou carrément lissés de brillance, suspendus à de rêveuses hachures, de gros flocons saturés, laissent entrevoir la trame du support papier gris neutre ou blanc à l’origine, comme une respiration surgie des profondeurs, cette bonté de remontée aérée des fonds, spécifique à l’art du pastel. Au centre de la composition, un bouquet de fleurs champêtres, éclatant de l’énergie forte des pigments, semble vouloir quitter le vase qui le porte, posé sur une apparence de table. Vase ventru, dont le traitement aux balafres laquées, fait tourner la sous-couche de pastel noir au bleu émaillé. Du sucre d’orge à rayures circule en lames de feu dans les fleurs, papillonnant oiseaux de paradis qui échappent du vase en toutes directions tandis que des chatons d’avril montent aux yeux.
Autant le bouquet bouge, autant le personnage, hiératique, coincé à droite du dessin entre le liseré rigide du voile qui lui couvre la tête et une bande de couleur légère, parallèle à la bordure du support papier, (qui rappelle les ajouts de Degas pour agrandir une surface, bien qu’ici cette structure semble plutôt en rétrécir le champ) ressemble à une Sainte Femme, cloisonnée dans un vitrail, isolée dans ses pensées. Son profil est dessiné d’un trait, à la manière d’une synopie de fresque du Quattrocento ; le visage, légèrement poudré de pastel mauve qui se répand en auréoles ternes de-ci de-là, est recueilli. Personnage en méditation sur le passé, la briéveté et la finalité de la vie ? Nostalgie de la jeunesse solitaire de l’artiste dans la campagne de Peyrelebade ; douleur de la perte d’un enfant ?
Des traits vifs à main levée, affilés, comme tracés à la plume, de la même hardiesse que le contour du visage et de la même veine que l’approche des contours de la tête du personnage, de la panse du vase, forment le lacis nerveux du dessin premier, brindilles et tiges véloces à fleur du pastel qui les recouvre. Le dessin du voile, lui, n’est pas primesautier. La texture transparente semble capturer des boucles blondes, dentelles de fleurs inertes aux contours sépia. Est-ce la plume (ou du crayon) qui sur-impressionne l’aplat de poudre jaune ou vice-versa ? La partie du voile tombant sur les épaules participe de la clarté du manteau dont les fines hachures blanches ont à leur tour participé de la sous-couche du fond bleu qui, de la sorte, les moire. Le galon de finition se dote d’un relief de dorure ecclésiastique, poudre ensoleillée perlée sur un réseau de lignes comme façonnées à la plume. Sur l’omoplate, le voile prend un aspect damassé propice à fantasmagorie, cette inclinaison spécifique à l’esprit d’Odilon Redon, ici liant de l’oeuvre qui juxtapose l’immobilité à la dynamique, le précieux au champêtre, le spirituel au matériel. Dans la foulée des apparitions, un fantôme de fleur blanche semble chatouiller l’épaule du personnage comme un lien de rattachement. Si on y voit que du bleu dans ce pastel au premier abord, ne serait-ce pas l’expression directe d’un coup de blues de l’artiste ?
Pastel publié avec l’aimable autorisation de
Jean-Jacques Lechantdupain
Cet article est publié dans le Blog Pastel du site de la Tribu des Artistes
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