Archives du mot-clé Interaction fond et sujet en peinture

Bleu 2 de Miró. Interaction du fond et du sujet en peinture (4)

Suite et fin de de l’entretien « Interaction du fond et du sujet en peinture »

Bleu 2 de Miró

Miro_Bleu2Bleu II. Huile sur toile, Miró, 1961, 270×355 cm, Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. Cette oeuvre est le numéro deux d’un triptyque.

 

Je commençais par dessiner au fusain dès le petit matin. Je consacrais le reste de la journée à me préparer, puis, enfin, je me mettais à peindre. Le fond d’abord… Les mouvements du pinceau, du poignet, la respiration de la main, tout comptait. Ce combat m’épuisait. Miró

Miró a recouvert la totalité des toiles grand format de son triptyque, Bleu I, II, et III, du bonheur de se perdre dans l’ampleur d’un bleu méditerranéen. La couche picturale est légère, et le bleu qui paraît uniforme au premier abord, est moiré. A partir de ce fond, l’artiste a distribué les éléments de ses compositions decrescendo. Il est important pour moi d’arriver à un maximum d’intensité avec un minimum de moyens. D’où l’importance grandissante du vide dans mes tableaux. Miró.

Miró, de retour d’un voyage aux Etats-Unis, est inspiré par l’Action painting de Pollock et par l’Expressionisme abstrait de Rothko. Mais chez lui, les formes ne sont jamais totalement abstraites, elles restent reliées à la vie, à la nature, aux constellations…

Bleu I fait jongler des planètes ténébreuses dans toute l’étendue du support.

Bleu III est l’oeuvre la plus minimale. Tombée du ciel, une météorite ancre la toile, tandis que tout en haut, vibre une coccinelle cerf-volant prête à s’envoler, retenue à un fil d’araignée traversant le tableau en souple diagonale.

Bleu II est le pilier central du triptyque. Sur la quiétude fluide de son espace indéfini, se découpe à la lisière de l’oeuvre, en une gestuelle oblique de banderille, une lance ensanglantée qui ressemble à une blessure. L’intense couleur de cette forme, pour peu qu’on la fixe des yeux, projette sur le fond bleu des rayures cinétiques rouge flou ! Elle est escortée d’une portée de gouttes, lunes noires, galets, notes de musique…

Sa partie haute est ombrée de bleu tremblé. L’artiste l’a voilée d’une légère couche de rouge qui laisse transparaître une remontée de bleu du support. Puis, il l’a ceinturée d’une ganse vermeille. A moins, qu’inversement, les pigments issus du bourrelet aient diffusé dans ceux du fond bleu encore humide. Ce fil rutilant cernera tout le pourtour de la forme.

Dans la partie basse, la charge de peinture est travaillée graduellement de recouvrements huileux, jusqu’à s’embraser à la pointe d’une flèche vermillon. – Les trois peintures obéissent à la consigne classique : dessous maigres et superpositions progressivement épaissies en liant gras – En excès d’huile, la couche picturale s’écorche ici en minuscules particules de peau pigmentée, prodiguant une chaude texture au travers de laquelle on devine parfois comme le souvenir bleu du support sous-jacent.

L’ombre indécise qui auréole le pourtour de la forme est probablement due à un reliquat d’huile qui se propage par capillarité en un halo rosé sur l’azur du fond. En outre, des rehauts la creusent pour la sous-tendre d’un relief de véhémence. Si le regard se noie dans le bleu, il se produit alors une propagation de coulées bleu lactescent qui répondent à des passages de nuées violines.

Les aplats lunaires bien que lissés de noir, paraissent en apesanteur. Ces petits pas de jeu de marelle, conjugués à la plateforme rouge, ont des affinités avec les mobiles de Calder. Le peintre et le sculpteur, liés d’amitié, partagent l’idée de liberté et un art inventif, ludique et poétique allié à la grâce du mouvement.

Sur le fond céruléen de l’oeuvre, s’égrainent à l’infini le rouge incandescent d’une turbulence de soleil, et le noir d’éclipses de lunes…

 

Accrochage du triptyque Bleu 1, Bleu 2, Bleu 3 au Centre Pompidou :
http://culturebox.francetvinfo.fr/expositions/peinture/les-trois-bleus-de-miro-au-centre-pompidou-un-reve-une-evidence-108961

Interaction du fond et du sujet en peinture

Question d’un internaute :

 Lors de l’exécution d’un pastel faut-il : commencer par le fond (par exemple une montagne) puis passer par-dessus pour peindre (par exemple une biche) et doit-on “fixer ” le fond auparavant ou bien faire le premier plan et “mettre autour le fond”?

Réponse :

La tradition dans la plupart des techniques de peinture, dont le pastel, recommande de commencer l’œuvre par l’arrière-plan, c’est à dire le fond. C’est comme dans la vie, ce qui existe en premier induit et renforce ce qui vient par la suite ; les fondations soutiennent la maison !

Traiter d’abord le fond – ne pas fixer- chemin faisant apportera de la matière dont va bénéficier la définition du sujet ou premier plan. Cette pratique est une mise en oeuvre réfléchie pour faire surgir le sujet de façon accompagnée comme une naissance. C’est une exploration dans le miroir réfléchissant des pigments de pastel.

Si on commence à peindre « le premier plan » (ou le sujet) puis à traiter « autour le fond », on réalise plus un acte de juxtaposition et coloriage que d’immersion picturale. Mais pourquoi cette expression spontanée serait-elle à exclure ? Les peintures des enfants ne sont-elles pas les oeuvres les plus sensibles ? On peut également ne s’intéresser qu’au sujet ou inversement qu’au fond ; on peut évidemment envisager tout ce que l’on veut !

Tout est faisable en peinture, et il y a autant de façons de s’exprimer que d’artistes. L’art c’est la vie de l’imaginaire donc de toutes les libertés.  Il n’y a pas de règles d’architecture pour un château dans les nuages. G.K. Chesterton

Ci-dessous, quelques exemples de réalisations au pastel :

. Degas fixait des couches successives de pastel entre elles, parfois en grand nombre ! Le pastel une fois fixé chute de tonalité, peut prendre un aspect translucide de parchemin, et sa surface devenir légèrement rugueuse. Ainsi traitées, les superpositions entrent en résonance avec les ressources accumulées depuis la première couche et procurent chatoiement et profondeur à l’œuvre. La dernière couche de pastel n’étant pas fixée pour la conservation de sa « fleur ».

. Estomper légèrement, d’un doigt aérien, du pastel essaimé sur un support papier non travaillé, en couche fine, de façon que le pastel qui sera déposé par dessus puisse accrocher sans déraper ! La fugace luminosité ainsi obtenue diffusera sur le sujet. Par exemple une montagne dessinée sur un ciel éthéré semblera flotter à l’horizon.

. Réserver des pans du support papier coloré ou blanc, non pastellés. En fin de travail si ces trouées à l’état brut sont couvertes de pastel elles apparaîtront sous forme de lumière pure et s’imposeront tout naturellement au premier plan.

. Toute œuvre sur papier dont on est insatisfait, dessin, pastel, peinture à l’eau… est un fond incitatif à la création d’une œuvre nouvelle. Ces plages stimulent d’autant l’imagination que l’on ne craint pas de les violenter, ce qui libère le geste. Degas a exécuté des pastels aux couleurs ruisselantes de lumière à partir de ses monotypes en noir et blanc.

Dès que l’on commence à peindre, c’est souvent l’instant de grâce où, chargé de l’immanence de quelque chose de fort à délivrer, on est sous domination de l’intuition, et on oublie tout savoir ; il est alors moins question de composition de l’œuvre que d’orchestration d’un dépassement de soi !

Quelques soient ses moyens de construction, l’oeuvre est avant tout une interrogation de « fond » … de l’être !

 

A suivre :
– Observation d’après deux reproductions de pastels d’Odilon Redon
– Observation d’après les reproductions d’une aquarelle de Delacroix et d’une huile de Miró

 ………………………………………..