On peut réaliser une œuvre avec tout matériau ! C’est la manière dont l’artiste communique avec le matériau, comme l’écrivain avec les mots, qui fonde l’oeuvre !
Plus le matériau est sommaire ou paraît contre-indiqué, plus l’œuvre est potentiellement inventive face au défi. Un matériau trop abouti pourrait, à la limite, inhiber l’artiste, par exemple une qualité de peinture à l’huile extra fine.
Les limites techniques du crayon pastel sont : texture plate, faible contraste, coloris ternes. Ainsi ce crayon évoque-t-il des sonorités sourdes, le calme, la discrétion et il y a là, de quoi bâtir tout un monde et au-delà !
A la façon de tout crayon, le crayon pastel se révèle plus efficient dans le graphisme, le trait de dessin qu’en aplat. La superposition d’aplats se trouble rapidement car l’opacité du matériau et ses couleurs non miscibles, font chuter les tonalités.
En revanche deux superpositions légères font bon alliage de tonalités tendres et feutrées. Un rose et un gris subtilement superposés, par exemple, peuvent prendre l’aspect grenu d’un tissu de tweed ; ceci grâce aux mailles de la matière poreuse du crayon pastel qui fait remonter la clarté du support à travers la couleur.
En monochromie ou bichromie, le crayon pastel décliné sous toutes ses facettes, traits, superposition de traits ou d’aplats ou estompe, offre la douceur d’une texture laineuse.
Sur un grand format, le crayon exigera de la minutie pour couvrir la surface aux petits points, pour ainsi dire ! Travail qui pourrait être révélateur de constance et faire prendre conscience à l’artiste des potentialités de son tempérament, plus réfléchi que spontané, plus dessinateur que peintre, coloriste ou valoriste...
Les œuvres réalisées au crayon pastel apprécient l’alliage d’autres matériaux.
L’apport de techniques mixtes enrichit le crayon pastel au niveau des contrastes. Les crayons Conté fusain, sépia, sanguine produisent de chaleureuses vibrations, les crayons Conté pierre noire (à base de schiste) et carbone modulent et approfondissent les tons.
Penser aussi à la gamme des craies « carrés Conté » dont les coloris sont plus intenses et liants que ceux des crayons, et qui permettent des traits précis et une manipulation à fleur de peau, puisque les bâtonnets ne sont pas gainés.
Ne pas oublier l’apport du crayon graphite. Surimposé au crayon pastel, il structure d’un trait argenté, modulé du gris clair au gris très foncé, le côté parfois fade du crayon pastel tout en accrochant bien à sa surface. Le graphite a une bonne stabilité du fait de sa texture quelque peu grasse.
La tradition dans la plupart des techniques de peinture, dont le pastel, recommande de commencer l’œuvre par l’arrière-plan, c’est à dire le fond. C’est comme dans la vie, ce qui existe en premier induit et renforce ce qui vient par la suite ; les fondations soutiennent la maison !
Traiter d’abord le fond – ne pas fixer- chemin faisant apportera de la matière dont va bénéficier la définition du sujet ou premier plan. Cette pratique est une mise en oeuvre réfléchie pour faire surgir le sujet de façon accompagnée comme une naissance. C’est une exploration dans le miroir réfléchissant des pigments de pastel.
Si on commence à peindre « le premier plan » (ou le sujet) puis à traiter « autour le fond », on réalise plus un acte de juxtaposition et coloriage que d’immersion picturale. Mais pourquoi cette expression spontanée serait-elle à exclure ? Les peintures des enfants ne sont-elles pas les oeuvres les plus sensibles ?
On peut également ne s’intéresser qu’au sujet ou inversement qu’au fond ; on peut évidemment envisager tout ce que l’on veut !
Tout est faisable en peinture, et il y a autant de façons de s’exprimer que d’artistes. L’art c’est la vie de l’imaginaire donc de toutes les libertés. Il n’y a pas de règles d’architecture pour un château dans les nuages. (G.K. Chesterton)
Ci-dessous, quelques exemples de réalisations au pastel :
Dès que l’on commence à peindre, c’est souvent l’instant de grâce où, chargé de l’immanence de quelque chose de fort à délivrer, on est sous domination de l’intuition, et on oublie tout savoir ; il est alors moins question de composition de l’œuvre que d’orchestration d’un dépassement de soi !
Quelques soient ses moyens de construction, l’oeuvre est avant tout une interrogation de « fond » … de l’être !
Le pastel est une technique opaque. Pour obtenir une transparence, utiliser le moins possible de poudre!
La transparence peut présenter de multiples aspects mais examinons le cas du support :
1) sur support vierge
2) sur support peint
Cas d'un voilage blanc sur corps nu
Le travail du voilage interviendra à la fin. Tout le travail de base réside dans le nu.
Bien que le voilage soit blanc, il est préférable de ne pas trop utiliser le bâtonnet de pastel blanc pur. L'usage intensif du blanc, ainsi que du noir, sauf effet particulier recherché, est à éviter. Le blanc "envahit" et le noir "engloutit" ! Dans ce cas précis, le haut contraste du blanc risque d'opacifier la fragile surface du voilage et de supprimer les nuances de la chair.
La blancheur naîtra de la clarté du voile et de sa luminosité.
Le voile sera évoqué avec un minimum de matière et de dessin pour garder la transparence car c'est le fond, en l'occurrence le nu et son contexte, qui apportent volume, ombre, lumière, mouvement.
Pour le travail du voile, réserver quelques bâtonnets de pastel correspondant aux tonalités sombres et claires du nu mais aussi de son environnement si le voile déborde des limites du nu.
Dans le cas d'un drapé, le voile épouse par exemple les seins ou les cuisses en lignes courbes tendues et retombe mollement entre les points saillants en lignes cassées. Les plis du textile peuvent se présenter sous la forme d'un fin bourrelet de couleur claire : relief opaque, fait de quelques traits superposés, cerné d'une ombre qui apparaîtra en creux, le sombre faisant ressortir le clair et réciproquement.
Des hachures ou autre graphisme aérien délimiteront les volumes. Pour obtenir plus de légèreté dans les ombres mêler du fusain au pastel.
Quelques accents de lumière au pastel clair, rehaussé d'une tonalité claire complémentaire, et positionnés sur des ombres du nu ajouteront reflets lumineux au voile. Quelques traces légères d'estompe réalisée sur un fond uni lui donneront un flou vaporeux.
Tracer les contours du voilage à l'aide de quelques lignes ondulantes, fines, discontinues, d'un ton clair ou sombre contrastant sur la couleur du fond.
Enfin pour exalter la blancheur du voilage, jouer avec la lumière. Esquisser de petits traits, déposer de légers aplats de poudre ici et là, de tonalité très claire que des pointes de blanc viendront illuminer !
Le pastel se prêtant à l'estompe il semblerait que pour parvenir à la transparence il suffise d'estomper. Ce n'est pas le cas ici puisqu'en estompant on va effacer les dessous, c'est à dire des parties du nu, qui n'est pas fixé, et obtenir un effet opaque et brouillé. Sur un fond fixé, l'estompe est terne.
En principe, il est préférable de commencer à travailler l'oeuvre au pastel dans des tonalités claires ou légères, lesquelles diffusent une lumière engageante, susceptible par la suite de faire remonter des éclats de clarté dans la matière des couches supérieures, comme pour les éclairer du dedans.
Par ailleurs, commencer à peindre dans des tonalités sombres, risque d'obstruer l'horizon. Essayer alors de les éclaircir, brouillera la matière. Essayer de les effacer, supprimera du pigment, et la texture du papier retiendra, ensemencées, des traces de couleur ayant perdu substance et velouté !
Sans compter qu'après effaçage, le support papier à cet endroit étant devenu lisse, la poudre de pastel qui sera déposée sur la surface glissante ne sera pas stabilisée.
Mais, tout ceci est de la théorie plaquée sur du vivant, et rien n'est moins sûr que l'application de recettes pour s'exprimer en arts plastiques.
L'agencement des couleurs est le reflet de la personnalité de l'artiste, avec ses hauts et ses bas, ses tâtonnements, ses transgressions souhaitables. Il n'y a pas une façon de peindre universelle, mais autant de manières expérimentales que d'empreintes digitales.
Peindre c'est exprimer le ressenti de sa sensibilité, se projeter dans le corps à corps avec le matériau pour donner chair à l'oeuvre, selon soi-même. La main de l'artiste, prolongée du bâtonnet de pastel, transmet, à l'instar de celle du pianiste, les modulations des émotions directement au support.
Ainsi, l'artiste est-il guidé par le monde aux couleurs de l'imaginaire que son inconscient lui impose comme on entre dans une farandole...
La feuille de papier adaptée à la pratique du pastel est un matériau peu texturé, décliné dans toutes les couleurs, sauf le blanc.
Les couleurs des pigments du pastel étant chaleureuses, aussitôt la poudre est-elle déposée sur le support coloré, qu'elle vibre de concert. Les pigments, bâtonnet blanc compris, diffusent une lumière vivante, modulable, aérienne, ou puissante d'intensité...
Sur un support de papier blanc, le bâtonnet de pastel blanc n'a pas trop d'utilité, étant ton sur ton.
En revanche, la luminosité de la blancheur du substrat a tendance à phagocyter la matière légère de la poudre de pastel. Ainsi, l'oeuvre obtenue peut être un peu épuisée de sa substance, plate, terne, mate, cependant tendre et un peu froide à la manière de l'aquarelle.
Tout d'abord, un bref historique autour de la question "estomper le pastel oui ou non" :
Au XVIII siècle, les pastels rivalisent en excellence avec les tableaux à l’huile et l’estompe permet de refléter avec minutie le raffinement, la préciosité, l’apparat des décors et des costumes, la carnation délicate des portraits, le côté éphémère de ce siècle éphémère.
Chardin innove et rompt avec l’artificialité du XVIII . Il construit simultanément forme et relief à l’aide de hachures parallèles de couleurs pures. Par la suite, Millet aussi utilise des hachures vives et préfigure Degas.
Au XIX siècle les Symbolistes apprécient l’estompe pour ses effets de flou et de mystère.
Degas, dans ses pastels du début, estompe la couche initiale suffisamment pour qu’elle ne soit pas altérée par les ajouts de la pâte du pastel et autre trait de couleur au bâtonnet. Ensuite, sa technique évolue vers une superposition de faisceaux de hachures aux coloris contrastants.
Les Impressionnistes notent les effets de lumière sur le motif au pastel direct.
Au XX siècle la couleur du pastel est exaltée par les abstraits qui juxtaposent les plages de couleur pure.
Estomper c’est lier les couleurs entre elles, soit au doigt soit à l’estompe (accessoire non recommandé) pour obtenir de séduisants effets doux, vaporeux ou opaques...
Estomper peut être une facilité pour fondre les tonalités, obtenir un "flou artistique". Un débutant ressent parfois le besoin d’estomper pour dissimuler des imperfections.
Je pense que l’estompe dénature le pigment, lui ôte sa fleur et sa luminosité. Le pastel étant du pigment presque à l’état pur, ce qui est rare dans la peinture, le pigment posé brut, sans artifice sur le support est un gage d’explosion de lumière.
Ci-dessous les qualités de "parti-pris" que j’associerais aux 2 procédés :
Faîtes l’essai de peindre 2 tableaux identiques, l’un tout à l’estompe et l’autre non estompé pour constater les différences. Vous pouvez aussi essayer les deux techniques séparément dans la même oeuvre. Et aussi combiner l’ambivalence des possibilités : par exemple, écraser la matière poudreuse et poser dessus des hachures etc.
Le pastel offre des variétés de texture à l’infini : traits fins, épais, droits, incurvés, sinueux, en diagonale, courts, longs, zigzags, zébrures, en pointillés, hachurés, grattés, frottés, humectés, raturés, taches, aplats etc. etc.
Pour l'entretien du bâtonnet « estompe » frotter l'extrémité avec un chiffon de coton et la passer au papier-verre fin. L'estompe est un outil rigide qui manque de maniabilité et a tendance à écraser et figer le pigment. Il est préférable de recourir à des tortillons artisanaux.
Les tortillons conviennent aux exigences de l'oeuvre puisqu'ils sont souples et réalisés sur mesure par l'artiste. On les façonne notamment avec du papier buvard tendre ou du coton hydrophile. Il est intéressant aussi d'estomper avec un morceau de tissu de coton tendu sur l'extrémité de l'index, le doigt étant l'estompe la plus sensible. L'estompe idéale est le doigt nu mais avec le risque de graisser le support.
On peut aussi déposer directement de la poudre de graphite sur le support. Cette poudre subtile s'estompe délicatement et donne des nuances fines, vaporeuses, contrastées.
A propos, dessiner ou peindre avec de la poudre de graphite diluée offre de belles tonalités argentées et une texture crémeuse. Pour la préparation du médium, il suffit de délayer de la poudre de graphite dans un peu d'eau distillée et d'ajouter une goutte de gomme arabique et une trace d'agent conservateur.
Je pense que pour donner à l'oeuvre à la mine graphite toute sa respiration et son naturel et ne pas « l'encrasser », il faut éviter de recourir à l'estompe, sauf à vouloir obtenir des effets particuliers de brillance ou autre texture incrustée dans le support.
Pour faire apparaître des dégradés, on peut utiliser l'aplat d'un bâtonnet de graphite en modulant la pression de la main sur le bâtonnet. C'est la méthode la plus directe. Mais il y a une infinité de méthodes plus élaborées notamment par superposition et assemblage de traits ou autres graphismes.
Ce bâtonnet de coupe rectangulaire autorise tous les cas de figure en fonction de la partie utilisée : l'aplat, l'arête, l'angle.
Matériaux cités :
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