Le pastel est un bâtonnet de couleur ressemblant à un bâton de craie. A l'aide de ce bâtonnet, le pastelliste obtient deux résultats : Soit un dessin, s'il l'utilise comme un crayon, soit une peinture dans la mesure où il en imite l'effet en recouvrant entièrement le papier.
Le pastel est donc une technique riche. Agréable, également, puisqu'il s'agit de s'exprimer directement sur le support à l'aide du bâtonnet sans avoir recours à un intermédiaire comme par exemple de l'eau, un pinceau, une palette.
De plus, le bâtonnet de pastel étant composé de pigments seulement agglomérés à du talc et de l'eau gommée, les coloris d'un pastel résistent à l'épreuve du temps.
A propos de temps, peindre à la manière du pastel existe pour ainsi dire depuis que l'Homme est créatif. (Exemple : les peintures rupestres).
A la Renaissance, c'est Léonard de Vinci qui avec d'autres artistes, met au point la technique du pastel pour rehausser les dessins (Cf. le portrait d'Isabelle d'Este).
Les grands pastellistes français du XVIII° siècle sont Quentin de la Tour et Peronneau qui brillent dans les portraits. Plus tard la technique est renouvelée avec Delacroix, Odilon Redon, Degas, etc.
Aujourd'hui, les artistes exploitent le pastel dans toutes ses possibilités. Des couleurs les plus violentes et acides aux tons les plus doux et complexes, des techniques du dessin à celles de la peinture la plus achevée, toutes les audaces sont permises.
Le pastel est une technique à part dans le domaine de l'art graphique. Par la pression d'un bâtonnet, composé de poudre de couleur agglomérée, sur une feuille de papier, le pastelliste obtient deux résultats. Soit un dessin, s'il frotte le bâtonnet sur le support, soit une peinture, dans la mesure où il en imite l'effet en recouvrant entièrement le support.
Mais sous une forme plus rudimentaire, le pastel a toujours existé. Les peintures réalisées à l'aide de terres ocre rouge ou ocre jaune, ornant les parois des grottes préhistoriques ne sont-elles pas déjà du pastel? A savoir une poudre composée de pigments de couleur à l'état pur.
Cette technique est mise au point à la Renaissance en France et en Italie (latin "pasta" = pâte) pour rehausser les dessins exécutés à la pierre noire, à la craie ou à la sanguine : cf le portrait d'Isabelle d'Este par Léonard de Vinci (1452-1519) ou les portraits par Jean Cluoet (1485-1541).
Mais sous une forme plus rudimentaire, le pastel a toujours existé. Les peintures réalisées à l'aide de terres ocre rouge ou ocre jaune, ornant les parois des grottes préhistoriques ne sont-elles pas déjà du pastel? A savoir une poudre composée de pigments de couleur à l'état pur.
Or, dans les autres procédés picturaux intervient un medium (l'huile par exemple) qui participe à la transformation des tonalités de l'oeuvre en vieillissant. En revanche, les coloris du pastel, matériau direct, restent intenses au fil du temps.
Est-ce pour les qualités d'originalité du procédé et de fidélité du matériau que du règne de Louis XIV à celui de Louis XVI de nombreux artistes choisissent d'exploiter cette technique?
Il sera intéressant d'analyser comment le "siècle des Lumières" qui se passionne pour toutes les découvertes, dévoile les sortilèges secrets du pastel et pourquoi cet art tombe en désuétude au siècle suivant.
En 1665 le pastel fait partie des épreuves d'entrée à l'Académie de peinture et devient ainsi officiellement l'égal de la peinture, de la sculpture et de la gravure. Il connaît alors un tel engouement, essentiellement dans le genre du portrait, que non seulement il rivalise avec la peinture à l'huile, mais il lui est souvent préféré.
D'une part, il sait rendre avec brio les effets de matières : les riches étoffes, la carnation des visages, l'aspect poudré des perruques. D'autre part, sa texture éthérée convient parfaitement pour traduire la légèreté, l'élégance, le côté brillant de l'esprit français.
Cette poudre veloutée définit parfaitement un monde clos, ouaté, privilégié, qui, protégé par la surface laquée d'une vitre devient inaccessible, aristocratiquement coupé de l'extérieur.
Ainsi, du portrait officiel en apparat, au portrait plus spontané, en passant par le portrait allégorique ou mythologique, toutes les tendances seront brillamment représentées par de grands pastellistes et l'on appellera cette époque "L'âge d'or du pastel".
Voici en illustration quelques noms qui ont contribué a cette renommée. Les oeuvres citées se trouvent, sauf mention contraire, au Cabinet des Dessins du Musée du Louvre (la plupart des tableaux du XVIIIème siècle mentionnés faisaient partie de l'exposition de pastels du Louvre de la fin de l'été 1985)
Charles Le Brun (1619-1690) utilise le pastel dans ses croquis préparatoires pour le portrait de Louis XIV. Ses études de physionomie aux tons ocres, aux traits sobres, vigoureusement esquissées, étonnent par leur charge de vérité instantanée.
Avec Robert Nanteuil (1623-1678), portraitiste de la Cour de Louis XIV, la technique du pastel se perfectionne : les portraits deviennent puissamment expressifs. Comme il envisageait de les reproduire au burin, le modelé du visage est ferme, le regard aigu.
Ses portraits de magistrats sont graves. Seul, le portrait primesautier de Madame de Sévigné, (Musée Carnavalet) coiffée à la "hurluberlu", le teint de nacre souligné par les tons mordorés de la robe, apporte une note de fantaisie dans la production de Nanteuil et ouvre les portes aux raffinements du XVIIIème siècle.
Joseph Vivien (1657-1735), reçu à l'Académie en 1701 en tant que "peintre en pastel", inaugure le genre du portrait académique; soit, se découpant sur un décor fermé, un portrait solennel à mi-corps, dans des harmonies de gris bleu aux touches fondues et estompées.
Les ocres et les rouges sourds du XVIIème siècle cèdent le pas aux bleus qui seront exaltés tout au long de ce XVIIIème siècle de séduction; le pastel se prêtant, dans cette couleur, aux plus beaux effets.
Vivien fait école jusqu'à la fin du siècle : Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803) représente son mari, le peintre Vincent, posant en habit de velours sur un fond neutre. Elle peint les Académiciens. Le Cabinet des Dessins du Musée Fabre possède un tableau de cette série - le portrait du peintre Joseph Marie Vivien.
Il est à noter que par sa délicatesse, le pastel exacerbe le coté féminin de la sensibilité, se prête à l'expression des sentiments passagers; ainsi de nombreuses femmes s'illustreront dans cet art et, pour la première fois dans l'Histoire, laisseront leur nom dans le domaine de la peinture.
Rosalba Carriera (1675-1757), pastelliste vénitienne, introduit en France le portrait de charme dans une suave palette de rose et de bleu qui influencera Jean-Marc Nattier (1685-1766) et François Boucher (1703-1770) et lancera la mode du portrait féminin ; visage gracieux, douces rondeurs, "carnation de tubéreuse".
Ces tableaux sont de tout petits formats, pratiques pour emporter en voyage et faire connaître les traits d'une jeune aristocrate. (Galeries de L'Académie, Ca Rezzonico à Venise)
Enfin cette tradition du portrait est sublimée par le portraitiste de la Cour de Louis XV, Maurice Quentin de La Tour (1704-1788), qui se consacre entièrement au pastel et lui donne ses lettres de noblesse.
Très respectueux de cette technique, il exécute, comme il est courant pour une toile, plusieurs croquis préparatoires pour un même portrait. Un dessin aigu et juste, des prouesses dans le trompe-l'oeil, une savante alchimie des fondus et des modèles avec des parties estompées, rehaussées de traits fermes, des compositions d'une grande aisance, des formats hardis prodiguent à ses portraits grandeur et magnificence.
"Singulier génie à peindre le métier, l'état, le caractère social de ses personnages" disaient de lui les frères Goncourt. En effet, chaque portrait rayonne d'une aura spécifique : le maréchal de Saxe en cuirasse étincelante campe la bravoure, le contrôleur général des finances Philibert Orry, la majesté, l'encyclopédiste Jean le Rond d'Alembert semble incarner l'esprit du siècle dans l'expression spirituelle de son visage.
Comme le souligne Charles Blanc, critique d'Art, "Dans ses portraits les yeux brillent, les cheveux se soulèvent, les narines respirent, le front pense".
Avec le somptueux portrait de la marquise de Pompadour, représentée en allégorie des Arts et des Sciences, Quentin de La Tour parvient à la quintessence de l'art du pastel. Exceptionnel par sa taille, son faste, son message, ce tableau dominait les autres lors de l'exposition de 1985 par sa brillance bleutée rayonnant comme un supplément d'âme.
Les satins, velours, ors, boiseries, tapisseries traduits avec virtuosité auraient pu surcharger la composition et conduire au baroque. Paradoxalement il n'en est rien. Au contraire, émanent de cette oeuvre équilibre, finesse, justesse, légèreté, toutes qualités du génie français. Sans compter l'étonnement supplémentaire dû aux stratagèmes invisibles employés par l'artiste; comme par exemple la tête du modèle travaillée à part et délicatement reportée sur la composition d'ensemble.
Jean-Baptiste Perronneau (1715-1783) est le rival de Quentin de La Tour, mais il s'adresse à une clientèle différente, composée essentiellement de bourgeois.
Ses portraits perdent en majesté, mais gagnent en spontanéité. Le trait est nerveux, à la manière d'un Fragonnard - une lumière insolite dorée ou vert de gris cerne les visages. Les coloris sont audacieux, le grenat jouxte le jaune dans le portrait du manufacturier hollandais Josse Van Robais, le bleu joue avec le vert dans le tableau intitulé "La Petite Fille au chat".
Cette grande liberté s'exerce aussi chez Joseph Boze (1745-1826) mais dans un registre naturaliste. Dans son autoportrait, l'épiderme accidenté du visage contraste avec la veste de satin lisse et le jabot de dentelle fine, traités avec beaucoup de maestria, dans le style precieux et raffiné devenu à présent classique depuis Vivien.
Le portrait de sa femme est également très touchant : le bras droit qui s'étale en diagonale dans la largeur du tableau est resté à l'état d'esquisse ainsi que la robe. Ce tableau conjugue à lui seul la gamme des possibilités offertes par le pastel : de la fraîcheur de l'esquisse à la qualité d'une peinture accomplie.
Cependant grâce à l'apport de deux pastellistes marginaux qui ont beaucoup innové, Chardin et Liotard, le portrait sort de son stéréotype élégant et distant, et le pastel dépasse le cadre du portrait pour s'orienter vers d'autres thèmes.
Chez Jean-Baptiste Chardin (1699-1779) le portrait devient intimiste. L'artiste se représente dans son atelier coiffé d'un simple foulard, interrogeant le spectateur du regard. Si Quentin de La Tour s'attache à l'étude du contour du visage, Chardin privilégie la matière, par un procédé de division de la touche de couleur.
Ce travail aux petits traits appuyés et superposés qui soulèvent le papier par endroits, donne une impression de solidité et de profondeur qui change de l'effet précieux de l'estompe et annonce les Impressionnistes.
Avec Jean-Etienne Liotard (1702-1789), peintre genèvois, la matière se fait lisse comme le marbre poli et chaleureuse comme la laine (effets peut-être dus en partie au parchemin utilisé comme support). Les portraits ne sont pas académiques, les personnages marchent, réfléchissent. En outre, certaines de ses compositions sont excentriques.
Son autoportrait de profil, situé à l'angle gauche du tableau "Vue de Genève de la maison de l'artiste" (Rijksmuseum à Amsterdam) rappelle les compositions des Primitifs. En revanche, la perspective déformée d'une table dans la nature morte: "Poires et prunes sur un torchon" (Musée d'Art et d'Histoire de Genève) annonce des peintres modernes comme Cezanne.
Avec Liotard le pastel prend une dimension universelle; Il n'appartient plus à une époque mais fait la symbiose entre le patrimoine du passé et celui de l'avenir.
Dynamisé par ces maîtres, le pastel est très en vogue au XVIIIème siècle. La bourgeoisie, les officiers, les magistrats se font peindre au pastel; certains révolutionnaires également.
On peut voir au Musée Carnavalet les portraits de Buzot par Jean-François Garneray (1755-1837), de Barnavé par Boze, de Barère, Pétion, Saint-Just; un petit portrait d'Eléonore Duplay l'amie serviable de Robespierre. Sophie de Grouchy, femme d'esprit, mariée au marquis de Condorcet, peint son autoportrait (Collection particulière de Madame de La Tour du Pin) ainsi que le portrait de ses amis.
Le pastel est devenu le moyen courant de se faire portraiturer et beaucoup d'amateurs l'utilisent. Le Musée Fabre avait consacré son exposition trimestrielle du printemps 1991 à un accrochage des pastels du Cabinet des Dessins : pour la plupart des portraits de l'Ecole Française du XVIIIème siècle, à la facture assez naïve. En outre, on pouvait voir un petit pastel héxagonal de Delacroix (1798-1863) représentant Michel Ange et son génie, ainsi qu'un pastel de Caillebotte (1848-1894) et de Vuillard (1867-1940)
Mais ce monde des "Lumières" touche à sa fin. Perronneau, Liotard, La Tour meurent à la veille de la Révolution Française. La perfection a été atteinte avec eux.
La Révolution bouleverse la société et ce changement se reflète inévitablement dans les arts. Le pastel est au nombre des "suspects". Il a été l'apanage de l'aristocratie, or tout ce qui rappelle l'ancien régime est banni. Les artistes officiels de la Cour sont inquiétés. Boze est emprisonné à la Conciergerie en 1793. Elizabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), se réfugie à Vienne.
Changement dans la mode vestimentaire également : le costume masculin qui marquait la différence de classe, et dont les pastellistes avaient su rendre le faste, devient moins décoratif. Perruques et rubans sont jugés réactionnaires et notamment l'emploi de la poudre sur les perruques est considéré comme anti-social, la farine nécessaire à la fabrication de la poudre devant servir à nourrir le peuple !
Sur un plan tout à fait symbolique la chute des perruques poudrées entraine celle des tableaux poudrés. La peinture a l'huile revient en force. Démodé, le portrait au pastel de Marie-Antoinette dans ses vaporeux atours par Madame Vigée-Lebrun. Au goût du jour, la rigueur antique du style néoclassique.
L'éclatant portrait de Madame de Pompadour contraste avec celui de Madame Récamier immortalisée par David dans un décor strict. Comme si la grâce seyait à la Royauté et la sévérité à l'Empire.
Au début du XIXème siècle le règne du pastel est révolu (Il semble qu'il s'impose à chaque période d'explosion culturelle : Renaissance, Siècle des Lumières). Il perd de sa force pour le portrait, et redevient essentiellement un moyen d'appoint pour les études préparatoires.
Les Impressionnistes toutefois gardent la tradition du portrait, traité superbement, mais dans un registre intimiste. Ils utilisent le pastel ponctuellement sur le motif pour des notations rapides de lumière, des effets de mouvement; les Abstraits s'en servent pour des recherches d'ordre graphique.
En filigrane cependant il continue à être expérimenté par des esprits curieux. Eugène Delacroix introduit les thèmes du Nu et du paysage. Edgar Degas (1834-1917) teste le matériau, le forge, le malaxe, le marie à d'autres techniques.
Les Symbolistes l'utilisent pour ses qualités de flou, générateur d'une lumière diffuse apte à créer le mystère. Ainsi Odilon Redon (1840-1916) dépasse la réalité et suggère un monde intérieur. Au Musée d'Orsay, ses oeuvres installées dans la pénombre d'une alcôve tendue de noir, effleurées d'un pâle éclairage, offrent les vibrations colorées des ailes de papillon et incitent au recueillement.
C'est ce besoin d'intériorité qui vaut peut-être au pastel d'être redécouvert de nos jours. Le XVIIIème siècle, sûr de lui, brillant, a fait du pastel un virtuose de l'esprit. Notre époque de doute aurait tendance à exploiter son côté fugace, trouble, pour explorer en profondeur les méandres de l'inconscient.
Enrichi des nombreuses expériences du passé, il offre des possibilités infinies aux nouveaux pastellistes. Des couleurs les plus violentes (Pastels expressionnistes de Lydie Arickx, acides de François Barbatre) aux tons les plus doux et complexes (Sam Szafran, Pierre Skira) des techniques du dessin à celles de la peinture, toutes les audaces sont permises.
Et il semblerait qu'il soit appelé à une renaissance dans notre ère d'images virtuelles où il perpétue le nécessaire contact de la main de l'homme en prise directe sur la matière.